Broder, rêver, prier peut-être, du Moyen Âge à nos jours : une approche ethnologique

Résumés

À quoi pense ou rêve cette brodeuse à la fenêtre auprès de laquelle elle réalise son ouvrage ? Accepte-t-elle son « destin » de femme dans l’époque, le milieu familial et social où elle vit ?
Des travaux ethnologiques permettent d’établir des rapports entre broderie, prière, rêverie, et « identité » de cette brodeuse. Des invariants apparaissent alors par-delà les changements de contextes : produire du « beau », être insérée dans un groupe ou une institution, choisir de pratiquer une technique – la tisseuse doit croiser les lignes rigides de la trame et de la chaîne, la dentellière choisit plus librement son « voyageur », la brodeuse dessine encore plus librement ses motifs à remplir.
Nous nous limitons ici à la technique de la broderie faite à l’aiguille, et pratiquée par les femmes.
Jusqu’à une époque récente, les activités du tissu ont joué un rôle important dans l’éducation des jeunes filles. Elles s’accompagnaient de croyances anciennes comme l’interdiction de filer certains jours de l’année pour éviter de perturber le renouvellement de la vie.
Le christianisme a réinterprété le sens de ces croyances : penser le rapport de la broderie à la prière, c’est aussi interroger poétiquement en quoi cet art participe du renouvellement de la vie.

What is this embroiderer thinking or dreaming about as she works by the window? Does she accept her “destiny” as a woman in the time, family, and social environment in which she lives? Ethnological studies have established the links between embroidery, prayer, daydreaming, and the embroiderer’s “identity”. Over and above changes in context, invariants emerge: producing “beauty”, being part of a group or institution, choosing to practice a technique - the weaver must cross the rigid lines of weft and warp, the lace-maker chooses her “traveler” more freely, the embroiderer draws her designs even more freely to fill in. We will focus here on the needlework technique practiced by women.
Until recently, embroidery played an important role in the education of young girls. They were based on ancient beliefs such as the prohibition of spinning on certain days of the year to avoid disrupting the renewal of life. Christianity has reinterpreted the meaning of these beliefs: to consider the relationship between embroidery and prayer is also to poetically question how this art participates in the renewal of life.

Index

Mots-clés

broderie, ethnologie, femme, prière, éducation, mythologie, poésie

Keywords

embroidery, ethnology, woman, prayer, education, mythology

Plan

Texte

Afin de donner un sens au regain d’intérêt pour la broderie et les diverses activités des arts du tissu1 dans le contexte de notre société mondialisée, métamorphosée par la numérisation des techniques de production et de communication, il peut être utile d’avoir recours à la manière dont l’ethnologie conçoit la place des techniques dans les sociétés qu’elle étudie.

En effet, l’ambition des « pères fondateurs » de la discipline a été de considérer les « faits sociaux » dans leurs dimensions technique, psychologique, économique, historique.

Par exemple, en conclusion de sa conférence sur les rapports entre psychologie et sociologie, Marcel Mauss nous dit au sujet de « l’attente », et donc de tout ce qui se produit ou se révèle dans le temps :

[] l’attente est un de ces faits où l’émotion, la perception, et plus précisément le mouvement et l’état du corps conditionnent directement l’état social et sont conditionnés par lui. Comme dans tous les faits que je viens de vous citer, la triple considération du corps, de l’esprit et du milieu social doit aller de pair2.

Mauss traite de la même manière globalisante ce qu’il a qualifié de « techniques du corps » : « Ce qui ressort très nettement de celles-ci, c’est que nous nous trouvons partout en présence de montages physio-psycho-socio-logiques de séries d’actes. Ces actes sont plus ou moins habituels et plus ou moins anciens dans la vie de l’individu et dans l’histoire de la société3. » En ce sens, on pourrait les situer dans le cadre de ce que Maurice Halbwachs qualifie de « mémoire collective4 » qui peut se perpétuer à travers les mémoires propres à certains corps de métiers comme celui des musiciens.

Or, l’activité d’une brodeuse5 se développe dans plusieurs de ces « montages » évoqués par Mauss. Ils forment un arrière-plan sur lequel on peut repérer trois motifs enchevêtrés qui traversent l’histoire de la broderie et que mettent en évidence divers travaux ethnologiques6.

Un premier motif : la broderie est une activité sociale. Les structures sociales, les « styles de cultures7 » changent au cours de l’histoire mais demeure le fait que, même si la brodeuse brode parfois seule, c’est toujours pour et avec les autres. Elle est toujours motivée par son insertion dans un groupe ou une institution et les rapports de pouvoir, de soumission ou de prestige qui s’y jouent : famille, église, couvent, atelier, association, systèmes d’éducation des filles.

Second motif à caractère plus technique : la broderie ne prend sens que par un jeu de similitudes et de différences au cœur de « séries d’actes » techniques rattachés à elle par des chaines de productions préalables : la production du matériau utilisé (culture du lin, élevage du mouton, etc.), les productions de fils et de cordes, le tissage, la couture, la vannerie, la production de dentelle. C’est pourquoi, lorsqu’on se penche sur les travaux des ethnologues au sujet de la broderie, il n’est pas surprenant de découvrir que peu de textes « brodent » sur la broderie en tant qu’activité autonome8.

Le troisième motif relève davantage de la psychologie de la brodeuse : broder est un exercice de patience. Il appelle, comme l’exprime Marcel Mauss, une attitude d’attente, une discipline du corps, qui permettent de s’extraire de l’agitation, du souci du quotidien. C’est pourquoi la broderie est propice à une rêverie engendrée par le rythme d’un geste technique récurrent. On peut alors s’interroger sur la proximité de cette rêverie avec certains aspects de la prière : attente, « flux de conscience » (Joyce) qui accompagne la création d’une belle œuvre, langage poétique des lettres ou des images brodées. Ainsi, l’imagination de la brodeuse d’aujourd’hui puise plus ou moins consciemment ses motifs et sa motivation dans un fonds de représentations populaires ou aristocratiques de la broderie, inséparable de mythes et de légendes très anciens.

De ces trois motifs le plus intemporel est le second, relatif aux séries d’actes techniques. En effet, puisque nous excluons de notre propos la récente métamorphose technique apportée par l’utilisation de machines à broder numériques, l’art de la broderie à l’aiguille a peu changé dans son principe. Commençons donc par l’envisager en regard des autres activités voisines.

Séries de techniques : tissage, dentelle, broderie

La dentellière, par exemple, n’est-elle pas comme une image inversée de la brodeuse ? L’une travaille en vue de la plus grande légèreté possible de son ouvrage – comme à la recherche d’une invisibilité idéale, l’autre veut apporter un éclat, une visibilité idéale à l’uniformité d’un tissu. D’un point de vue mythologique, nous pourrions dire de façon un peu schématique que l’une tisse des habits de fées9, l’autre des habits de princes.

Nous pourrions aussi mettre en parallèle la formation de motifs divers et colorés produits par tissage, tricotage ou vannerie et ceux produits par broderie ; c’est alors la nature et le degré d’insertion des motifs dans la trame du tissu qui font la différence : insertion en cours de tissage de fils colorés sur la même trame pour les unes ; pour la broderie, surpiquage du fil, traversée réitérée de l’aiguille d’une face à l’autre d’un tissu déjà achevé.

Précisons encore une différence quant au « degré de liberté » propre à la pratique de chacun de ces arts. Pour le tissage, il est possible de choisir un algorithme d’alternance de la couleur ou du matériau des fils de trame mais, comme nous l’avons vu, avec la contrainte de les insérer dans le réseau prédéterminé des fils de chaîne. La dentellière qui travaille aux fuseaux10, déroule sur un canevas d’épingles son fil de chaîne (appelé « voyageur ») en même temps – et donc plus librement – qu’elle déroule les fils de trame, régis par un algorithme de successions de « croiser », « tordre ». Quant à la brodeuse, elle réalise un recouvrement coloré de motifs librement tracés sur un tissu, en choisissant les points – tels point de croix, point avant, point arrière, point de nœud, point de poste, d’arête, de bouclette, de chaînette… les mieux adaptés aux contours, aux remplissages, ou aux effets de relief désirés. On peut noter enfin que certaines techniques de dentelle à l’aiguille sont très proches de celles de la brodeuse, à ceci près que les deux tissus qui soutiennent de part et d’autre le « parchemin » sur lequel est repiqué le patron, sont retirés à la fin, une fois coupés les « fils de trace ». Ils font place alors à des vides.

Ces spécificités techniques de la broderie, comme cela est généralement vrai des rapports entre « habitus » de pensée et supports, outils ou média d’expression11, sont sans doute corrélées, de manière inconsciente, à des dynamiques spécifiques des rêveries ou des rêves de la brodeuse pendant son activité ou à d’autres moments de sa vie quotidienne (à l’état de veille ou de sommeil).

En effet, le rythme de l’acte répétitif des passages du fil favorise un certain relâchement de l’attention propice à la rêverie c’est-à-dire à l’apparition de rapports plus libres entre des sensations, des idées, des images ou des « souvenirs interprétatifs » qui adhèrent à ces sensations. À ce sujet, Bergson exprime fort justement que c’est « avec de la sensation réelle que nous fabriquons du rêve12 ». C’est pourquoi il existe un continuum entre l’état de veille, la rêverie, le rêve. Seuls diffèrent les efforts d’attention à porter aux sensations : « Dormir c’est se désintéresser13. »

Nous pourrions aller plus loin en formulant l’hypothèse que les états de rêverie ou de rêve associés à l’activité de la brodeuse peuvent créer des conditions propices à l’extase et à la prière. En effet, deux aspects, très élémentaires (deux « brodèmes » pourrait-on dire) de la technique de la broderie, paraissent particulièrement propices, par leur portée symbolique, à stimuler l’imagination, la rêverie mais aussi la prière voire, à l’échelle des civilisations, à stimuler la formation de thèmes mythologiques. Il s’agit d’une part, de la discipline de non- débordement du motif dessiné et, d’autre part, le fait que, dans l’acte répétitif du passage de l’aiguille de part et d’autre du tissu, chaque passage du fil, chaque formation du point est une nouaison. On peut voir dans le non-débordement une métaphore de la dialectique entre soumission et résistance qui associe la totale liberté de conception du motif et la rigueur à laquelle il faut se soumettre pour le réaliser. Le second élément technique (passage du fil, nouaison) peut être perçu comme l’aller-retour itéré d’un monde à son envers : endroit de vie et de lumière, envers de mort et d’obscurité, ou, plus encore, jeu d’allers et de retours du temps14 lui-même. Cette production de nœuds dans le temps apporte tout son potentiel symbolique à la rêverie. Par exemple, on peut y voir le passage ou l’interruption de la circulation des souffles entre deux mondes, entre le passé et le futur et donc entre le monde des morts et celui des vivants (ou des à-venir) ; nous y reviendrons.

L’ensemble des « séries d’actes » techniques que nous venons d’évoquer et sa portée dans les domaines psychologique et social apparaît avec netteté dans l’adaptation au monde chrétien des représentations de la broderie.

Broder, prier, lire, activités sociales dans le monde chrétien : ora et labora

On songe aussi à sainte Rose de Lima qui, aux dires de ses compagnes, entrait en extase lorsqu’elle tirait son aiguille et revenait à elle en la ramenant vers le tissu (Görres, La mystique divine, naturelle et diabolique, 1861, p. 292). Sainte Rose que Murillo a représentée tendant une rose à l’enfant Jésus, debout dans une corbeille à ouvrage dont le linge blanc enveloppe le bas de son corps15.

Avec la chrétienté, est apparue la question de la virginité de Marie16, peut-être en vue d’une démarcation nécessaire d’une interprétation juive de la Torah relative à la « re-virginisation » d’Israël17, mais peut-être aussi, conformément à la rhétorique initiée par Saint Paul18, pour donner aux populations hellénisées l’image acceptable d’une déesse-mère vierge (comme Athéna Parthénos), ou encore, comme nous le verrons, pour « assimiler » au christianisme des dieux d’un ancien panthéon gaulois et celtique. Des évangiles apocryphes19 et de nombreuses œuvres d’art présentent, dans ce contexte, des réponses et des questions qui peuvent nous sembler étranges mais dont on peut tenter d’interpréter le sens et d’en mesurer la portée : que tissait Marie lors de son enfance au Temple, avant sa puberté ? Était-ce la pourpre pour le voile du Temple20 ? Les langes blancs ou la tunique blanche et « sans couture21 » de Jésus ? A quoi était-elle occupée au moment de l’annonciation ? Lisait-elle la Torah ?

L’article de Marlène Albert-Llorca cité plus haut apporte une vue d’ensemble sur ces questions et le sens à donner à diverses représentations de la Vierge :

De la Vierge des apocryphes ne subsiste donc dans les textes du xviie siècle que l’image d’une parfaite chrétienne, occupée à broder sur sa toile les fleurs et les figures angéliques qui décorent les vêtements des prêtres et les ornements liturgiques. Était-il bien nécessaire, pourtant, de faire figurer à ses pieds une corbeille de linge blanc [dans le tableau de Zurbarán L’annonciation] ? […] En plaçant à ses côtés non seulement un livre, mais aussi ce panier, le peintre voulait-il seulement rappeler qu’elle ne sépara jamais le travail et la méditation ? Ne faut-il pas y voir aussi un attribut marquant la singularité de sa nature22 ?

Attribut désignant « la pureté d’une femme qui ne fut jamais souillée par le sang de la menstruation23 ».

Bien d’autres images subsistent des rapports de la Vierge aux arts du tissu :

Le motif du filage de la pourpre a disparu de l’art savant au xiiie siècle, mais il semble avoir survécu dans des formes mineures de l’art religieux. Dans un ouvrage sur les tissus liturgiques, Dom E. Roulin (Linges, insignes et vêtements liturgiques, Paris, P. Lethellieux ed., 1930, p. 299) fait référence à une bannière de procession figurant une « vierge au fuseau » : ce cas n’est peut-être pas exceptionnel et témoigne de la persistance de la tradition apocryphe24.

Le rapprochement de la Vierge avec les arts du tissu n’est certainement pas étranger à l’importance prise par ces activités dans l’éducation chrétienne des filles, puisque Marie est perçue comme la jeune fille incarnant un idéal de beauté de pureté, de soumission heureuse à la volonté de Dieu et, finalement, comme la nouvelle Ève, sans péché, la nouvelle mère salvatrice de tous. Ces qualités doivent donc guider l’éducation des filles : pour être une « imitation de la Vierge » elles doivent donc en intégrer tous les attributs, et cela concernera aussi bien les « nobles dames et Demoiselles » que les filles de paysans. À ce sujet, Marlène Albert Llorca, évoquant Minot (le terrain d’enquête d’Yvonne Verdier25) rappelle que, « dans la période du “champ-les-vaches”, les garçons “courent” pendant que les filles cousent26 ».

Broder, lire et s’émanciper

Les représentations picturales de la Vierge Marie, lectrice d’un livre d’heures ou de la Bible nous amènent à considérer que l’éducation des filles par la broderie s’accompagne d’un contact avec l’écrit. Or, cette incitation à imiter le modèle de la Vierge lectrice favorisera une émancipation des femmes, observable à travers l’évolution de leurs lectures. L’ethnologue Daniel Fabre analyse l’évolution du rapport des femmes à l’écrit (lecture et écriture) du Moyen Âge à nos jours et note dans diverses œuvres picturales une « familiarisation » du rapport au livre. On y verra des « lectures de la Vierge […] transplantées dans un cadre domestique – par exemple devant une cheminée – et associées à des activités féminines d’intérieur – allaiter, filer la laine… –, ce qui entraîne une désacralisation visible du livre dont, par exemple, l’enfant feuillette et chiffonne les pages27 ». Ces représentations évolueront encore au cours du xixe siècle28. On y trouve, par exemple, une lecture pénitentielle de Marie l’Égyptienne (Madeleine) sommairement couverte par son voile. Ainsi, au cours du xixe siècle, l’auteur constate que la lecture semble échapper progressivement à la contrainte religieuse. Elle peut être partagée avec un amant, un ami, et, comme pour la broderie, s’effectuer dans un temps à soi. Elle permet ainsi aux femmes de cultiver leur imaginaire et de tendre à échapper à leur destin social. Hors du contexte de l’école obligatoire, on trouve donc des femmes exclues de la lettre par certains aspects mais intégrées par d’autres ; contraintes à un modèle de conduite et de moralité, mais trouvant aussi une marge de liberté dans le contrôle du temps.

Pour notre propos, il faut souligner que tout au long de ces périodes, le rapport des filles à l’écrit est indissociable de leurs activités de broderie. Daniel Fabre nous apprend que, par exemple :

dans certaines régions d’Italie du sud au début du xxe siècle, les filles (font) don à leur fiancé de mouchoirs sur lesquels elles ont brodé des quatrains, affichant donc une double compétence qui, dans le contexte où l’éducation se diffuse, en fait de meilleures « filles à marier »29.

De même, Anna Iuso note :

Les vertus moralisatrices attribuées aux métiers du fil, la puissance et la persistance du système symbolique qui construit le parcours existentiel féminin se nouent, historiquement, avec l’apprentissage de l’écriture par les petites filles. Le geste de la scriptrice est à plusieurs égards semblable à celui qui manie le fil, même s’il est porteur de la mobilité intellectuelle et sociale que la pratique domestique du linge interdit théoriquement aux femmes30.

Broder pour lire

On peut d’ailleurs observer que, en amont des évolutions du rapport des femmes à l’écrit et de la possibilité de pouvoir broder des quatrains, le rapport des filles à l’alphabet, dès les premiers apprentissages, est associé à l’exercice de broderie – et cela le différencie de l’apprentissage de l’alphabet par les garçons. À ce sujet, Lucie Desideri cite Yvonne Verdier31 :

Ce qui apparaît comme le chef-d’œuvre de l’écolière immédiatement lourd de significations, c’est la « marquette ». La marquette est un petit carré de canevas, où les petites filles brodent au point de croix – le point de marque – l’alphabet de A à Z et les chiffres de 1 à 9 avec le 0 au bout […] L’ouvrage est par ailleurs richement orné d’une frise le long des quatre lisières32.

Et Lucie Desideri précise :

Les fleurs en sont le motif privilégié. La frise borde l’alphabet, elle en enlumine la page d’écriture en y déroulant « la voie des fleurs ». Fil rouge sur fond blanc, alphabet écrit au point de marque, la marquette ne prend tout son sens et son importance que si on sait la lire à la lumière de la physiologie féminine : « Au moment où elles sont en possession de leur marquette, les filles ont environ douze ans : elles vont “voir” pour la première fois […]. “Voir” désigne les règles […] car c’est voir “la marque” »33.

Par ailleurs,

Parallèlement à l’alphabet de la marquette, conçu à l’image de ce qui estampille le corps des filles, on a vu fleurir par le passé des abécédaires conçus à l’image de ce qui estampille celui du garçon : A. comme Aigle ; B. comme Bécasse ; C. comme Coq ; et ainsi de suite jusqu’à Z ; Z. comme Zizi. L’alphabet change de sexe ; devenant masculin, il se met à « parler oiseau »34.

Ainsi, avec

L’alphabet-marquette et l’alphabet-oiseau : au sortir de l’enfance, l’écriture se fait prélude aux secondes naissances. Celles-ci en émergent comme d’une matrice. L’initiation prend en miroir les signes de l’écriture et les signes corporels : en requalifiant de A à Z chacun des deux sexes, quand s’affirment leurs capacités génésiques, elle donne tout à la fois un sexe à l’alphabet et aux adolescents. Associée au sang tout neuf des filles et à la virilité nouvelle du garçon, l’écriture leur devient consubstantielle. Insinuée dans les organes de la reproduction, elle est aussi immanente au corps qu’elle l’était chez Mattis [le jeune garçon héros du conte Les oiseaux de l’écrivain norvégien Tarjei Vesaas] et ne peut qu’évoquer le Verbe à incarner, déposé dans le corps de Marie par le souffle de l’Esprit, identifié dans l’imagerie chrétienne à un oiseau : la colombe. C’est la lettre incorporée et non la lettre apprise, qui concerne les « initiés »35.

Mais il demeure que l’initiation des filles par les travaux du fil, leur passage de l’enfance à l’adolescence se construit aussi dans un domaine extérieur à l’écriture ; il s’agit de leur rapport symbolique avec les objets les plus usuels de la couturière : les épingles et les aiguilles. Anne Monjaret en contrepoint d’une analyse qu’Yvonne Verdier36 fait du conte Le Petit Chaperon rouge, nous rappelle :

Le langage des épingles et des aiguilles est celui qui exprime au mieux l’état d’entre-deux de la pubère […] Dès leur plus jeune âge, elles [les filles] sont occupées aux travaux d’aiguille, tricot et couture ; derrière ces tâches se cache une leçon de maintien corporel et de docilité37.

Après le chef d’œuvre de la marquette,

vient le temps de la première communion au mois de mai de leurs douze-treize ans […] étape conduisant au statut de « fille à marier ». […] Les paysannes s’attellent à présent à leur trousseau […] si le trousseau est bien marqué au fil rouge, il peut être aussi brodé de fil blanc. Tout dépend des pièces : les torchons, les draps du dessous souillés par les rapports sexuels ou le sang des naissances sont travaillés au point de croix rouge alors que les draps du dessus sont brodés de fil blanc38.

Ces travaux s’effectuent à l’aiguille. Quant aux épingles, utiles à la couture, elles servent principalement à la parure (et à la séduction) à laquelle la jeune fille va s’initier en passant l’hiver de ses quinze ans auprès de la couturière. Puis,

Le mariage est le moment où s’opère ce glissement de l’épingle à l’aiguille. En retirant épingle par épingle sa coiffe nuptiale aidée de la couturière et en réservant le retrait de la dernière épingle à son époux, la mariée perd symboliquement son innocence (Verdier, 1979, p. 250-251) et se retrouve du côté de l’aiguille.39

Ainsi l’aiguille percée40 est le symbole sexuel complémentaire de l’épingle, symbole de parure.

Prier quand même

Ce qui précède nous montre que les ouvertures au monde de l’écrit permises par la broderie et les soumissions aux coutumes qui brident les « destins41 », s’effectuent toujours dans le contexte d’une activité sociale au service de l’Église ou, tout au moins, conforme à la morale chrétienne. En ce sens, la broderie est indissociable de la prière comme d’ailleurs, en tant qu’activité au service de la noblesse, elle est indissociable d’un rapport au pouvoir. Cependant, nous l’avons évoqué plus haut, c’est aussi par sa propre nature que l’activité de la brodeuse est propice à la rêverie et à la prière. Or, dans le monde chrétien, la prière a un rapport avec l’éducation chrétienne des filles : elles apprennent des prières. Toutefois, peut-on parler de prière en dehors du contexte purement cultuel de récitation de prières ? Un article de Stephen C. Headley, dans le numéro de la revue L’Homme42 consacré à l’Anthropologie de la prière, présente d’importantes contributions anthropologiques et linguistiques sur ce sujet43. Est traitée entre autres la question de la nature du dialogue silencieux avec un interlocuteur hypothétique, invisible, non humain, dans diverses cultures :

En admettant par exemple qu’un rite oral nous donne par son contenu une certaine compréhension des propos tenus par l’orant, reste le problème de l’intentionnalité. Qu’entend-il vraiment par cette façon de communiquer avec l’invisible ? Est-il même conscient de ses intentions ? Dans la divination chez les Yoruba, les Azande et les Sisala, Du Bois a montré que c’est la suppression de toute intentionnalité – au sens de Searle (1983) – qui garantit le succès de l’opération (Du Bois 1987 : 80-122). […] En Asie du Sud-Est il est souvent difficile de savoir qui l’on prie, à qui s’adresse l’invocation. Plutôt que dans l’étude de la terminologie religieuse ou dans celle de la rhétorique (Burke 1961) c’est dans le contexte, qui implique un ensemble d’interlocuteurs (ancêtres, humains, esprits, dieux), et par une approche pragmatique que l’on trouve la réponse. La démarche préconisée par F. Jacques (1982, 1985, 1988) peut se montrer particulièrement utile. Elle se fonde sur une analyse logique, séquentielle, de la pratique des échanges44.

La prière, celle de la brodeuse autant que celle de toute personne absorbée dans un travail semblable, permet une détente de l’esprit45. Elle peut donc favoriser, comme dans les cultures évoquées plus haut, un dialogue avec des personnes ayant vécu, une évocation de souvenirs d’ancêtres, de relations perdues, voire même un dialogue avec des objets ou des éléments naturels comme, par exemple, les motifs végétaux que reproduit la brodeuse46. Dans son article, C. Headley Stephen signale :

Les analyses de Metcalf et de Thomas et Afable montrent bien que les prières aux ancêtres sont des reprises de dialogues déjà commencés avec ceux-ci de leur vivant. Les esprits qu’invoquent les Chewong sont également des êtres qui, jadis, faisaient partie de la communauté humaine. Dans des cas semblables on a affaire à un dialogue qui se renoue. […] L’ethnologie du début du siècle ridiculise implicitement les animistes qui parlent à des objets comme les arbres ou les pierres. Le bienfait attendu n’était, croyait-on, que d’ordre magique, parce qu’on ne pouvait avoir une relation de communication avec ces choses. Fox et McWilliam montrent qu’un discours adressé par des hommes à des choses fait sens. Ainsi à Timor et à Rôti, en Indonésie de l’Est, malgré l’évangélisation, on continue à remercier la terre pour les dons de nourriture qu’elle dispense. On exprime ainsi un rapport direct d’humilité et de gratitude qui ne cherche aucun autre bénéfice que son expression pure47.

Il en va ainsi, parfois, de prières chrétiennes et musulmanes, relevées par les auteurs de la revue, qui présentent un trait commun :

Elles se modèlent sur la manière dont le créateur lui-même a parlé. Pour les musulmans, Adam avait connaissance du langage de Dieu. La tradition orale dans le judaïsme, le christianisme et l’islam garde la nostalgie d’une communication directe et transparente avec Dieu48.

Or, recréer sur un tissu vierge, des images du monde naturel (oiseaux, fleurs), c’est aussi, en un certain sens, participer chaque fois à une re-création du monde ; c’est une action de grâce : « Tout ce que vous faites, faites-le de bon cœur, comme pour le Seigneur et non pour des hommes » (Saint Paul, Colossiens 3, 23-24). Cette citation de Saint Paul est d’ailleurs congrue au point de vue de Max Weber :

Il paraît désormais évident que le mot allemand Beruf, et peut-être plus clairement encore, le mot anglais calling, suggère déjà, à tout le moins, une connotation religieuse – celle d’une tâche imposée par Dieu. Connotation qui nous sera d’autant plus sensible que nous aurons mis l’accent sur Beruf dans un contexte concret49.

La broderie par exemple.

Rites populaires et persistance des racines païennes

En amont de l’interprétation chrétienne des travaux du tissu, on peut voir que le rapport entre broderie (ou tissage), religion et prière, s’est constitué, sous sa forme populaire, sur le substrat de traditions et de pratiques plus anciennes. En témoignent, au Moyen Âge, des traditions qui ne proviennent pas d’un héritage culturel « purement » grec, romain ou hébreu. Reprenons par exemple le thème « technique » de la formation des nœuds lors du travail du fil. Nous avons évoqué plus haut son rapport avec le souffle mais on peut aussi l’associer à l’interdiction de travailler le tissu lors de certaines périodes de l’année.

Des dieux lieurs

Avant de donner quelques exemples relatifs à ces interdits ou à d’autres traditions qui en relèvent, il peut être utile de se référer, avec Mircea Eliade50, à un thème sous-jacent, présent dans de nombreuses religions non chrétiennes et qui, en un certain sens, trouve un écho dans le christianisme. Il s’agit du thème des dieux lieurs, qui sont aussi, souvent, des dieux pendus. L’auteur prend appui, entre autres sur les travaux de Dumézil, qui met en évidence les couples « dieux lieurs » (plutôt magiciens) et dieux guerriers. En voici quelques-uns : dans les mythologies indo-européennes, Varuna versus Indra (qui, d’ailleurs, sauve parfois en les « déliant » des victimes de Varuna) ; en Grèce, Ouranos versus Zeus ; à Rome, Jupiter versus Mars ; dans le monde nordique, Odhinn, bien que chef des guerriers, ne combat pas dans l’Edda, il paralyse ; en Gaule et en Irlande on a les « maîtres des liens », aux attributs proches, Ogmios et Lug fêté à Lugnasad, le 1er août.

Voilà pour nous un indice intéressant : c’est le 1er août que l’église catholique fête… Saint Pierre aux liens ! Allons plus loin dans le rapprochement avec le christianisme. Notre liste de dieux païens comporte des dieux pendus qui possèdent le savoir ou engendrent des alphabets comme c’est le cas pour Odhinn, fêté avec le dieu Ull le 21 décembre, jour du solstice d’hiver. Ceci nous conduit à interroger un aspect du rapprochement entre la fête nordique de Yule (en l’honneur de Ull) et Noël : on a pu considérer que le Christ en croix est une figure héritière de celle des dieux pendus et des dieux lieurs, lui qui a demandé à ses apôtres pêcheurs de poissons, maîtres des filets, de devenir des « pêcheurs d’hommes » (Luc, 5, 1 -11).

Nous sommes-nous éloignés de la broderie, du tissage et de leurs rapports au souffle, aux nœuds, au passage de l’aiguille entre deux mondes ? Pas vraiment : dans son étude, Mircea Eliade rappelle aussi les déesses du destin qui tissent les fils de la vie et, en Inde, le rôle de « l’air (vāyu) qui “a tissé” l’Univers en reliant, comme par un fil, ce monde et l’autre monde et tous les êtres ensemble […] tout comme le souffle […] a “tissé” la vie humaine51 ». L’auteur résume cela en deux choses essentielles :

dans le cosmos et dans la vie humaine, tout est lié à tout par une texture invisible, et, d’autre part […] certaines divinités sont les maîtresses de ces « fils » qui, en dernière instance, constituent un vaste « liage » cosmique52.

Il n’est pas impensable que, dans le contexte chrétien, les traditions apparues au Moyen Âge que nous retrouvons en France parfois jusqu’à nos jours, soient en rapport avec ces cultes voués aux dieux lieurs, aux dieux du souffle, comme si liens et souffle formaient de manière pérenne ce que Jung aurait pu qualifier d’archétypes. On peut penser ici au poète Philippe Jaccottet, si attentif à l’air et aux souffles, qui nous parle de l’effet lieur de la nuit : « Le souci de la tourterelle c’est le premier pas du jour rompant ce que la nuit lie.53 »

Des saints et des fils

Plus directement en rapport avec la broderie, on évoquera ici pour étayer notre hypothèse, le culte de trois saints. Le 3 février, est fêté Saint Blaise, patron des tisserands, cardeurs, cordiers et artisans du tissu. En même temps, Saint Blaise est le saint du souffle54. Le 25 novembre (depuis le xixe siècle) est fêtée Sainte Catherine d’Alexandrie, patronne des jeunes filles et des couturières ; le 25 janvier sont fêtés les cordiers et la conversion de Saint Paul sur le chemin de Damas, ville des étoffes de soie, du brocart et du damasquinage. Ce qui est commun à ces trois dates, outre le fait qu’elles concernent des métiers du fil et de la corde, c’est qu’elles sont situées dans des périodes de carnaval ou associées à des fêtes de type carnavalesque et sont, parmi d’autres, des moments d’interdiction des activités du tissu. Par exemple, dans les traditions populaires, il est interdit de filer entre Noël et les rois, on cesse toute activité du fil à la Saint Blaise55 – « temps magique56 » pour le chanvre, le lin, la laine ; ce jour de la fête des cordiers, « le travail du textile devait être achevé57 ». De plus, comme cela apparaît dans les Évangiles des quenouilles58, il ne fallait « jamais filer le samedi ni étudier pendant les fêtes, jours où l’on peut jouer aux quilles ou à cornichon-va-devant59 ». Enfin, on ne peut omettre de notre liste l’interdiction de l’usage des fuseaux pendant la jeunesse de la Belle au bois dormant – de crainte qu’elle ne s’y pique. Or, parmi les interprétations possibles de ce conte de fée, l’endormissement de la Belle au bois dormant peut représenter la période du début de l’hiver. Pierre Saintyves nous dit que

la Belle au bois dormant n’est pas une femme ordinaire ; on ne saurait douter qu’il s’agit d’un personnage symbolique ou plus exactement liturgique. Disons tout de suite, comme nous le verrons, qu’il s’agit de la nouvelle année et que les obligations qu’il faut remplir envers les fées sont précisément celles qu’on a coutume de leur rendre lors de la naissance de l’année60.

Peut-on expliquer la concomitance de ces trois aspects des cycles calendaires (interdit des arts du tissus, carnaval, souffles) ?

Le carnaval : pour Claude Gaignebet, le cycle de carnaval61 garde la trace d’une ancienne « religion populaire62 », sensible à ces périodes (principalement les solstices)

où les âmes circulent entre les mondes passible et impassible, où le problème des relations des hommes et des dieux se pose avec acuité, qu’un « Saint-Cordier » tresse la corde céleste, cette chaîne dorée homérique [cf. Illiade VIII 18 sq.] le long de laquelle hommes et dieux montent et descendent.63

« Platon (Théétète 153 e) voit dans cette chaîne le soleil64 ». C’est pourquoi ces périodes correspondent aussi à l’interdit de coudre, filer, tisser65 : autant d’activités où sont formés des nœuds qui, symboliquement (donc efficacement66), risquent de bloquer la circulation des esprits ou l’avènement de l’année nouvelle, car, pour les « anciennes religions », la circulation des âmes, leur retour périodique est nécessaire à la régénération de la vie – et la formation des nœuds, au cours de ces périodes est porteuse de mort67. Or, ce retour des morts au début de l’hiver correspond à une inversion du temps68, caractéristique des inversions que l’on trouve au cours des fêtes carnavalesques : les enfants y sont rois, et les hiérarchies sont inversées. Ceci nous amène à formuler maintenant quelques remarques au sujet de Sainte Catherine.

Il est intéressant de noter qu’avec la fête de Sainte Catherine se retrouvent encore quelques traits caractéristiques du carnaval : déguisements qui inversent les rôles homme et femme, transfiguration des lieux de travail. Par exemple, Anne Monjaret signale un ensemble de rituels festifs dans des ateliers de haute couture :

Remise d’une coiffe verte et jaune aux catherinettes [jeunes filles célibataires] par la hiérarchie proche voire le «  patron  », repas festifs, défilés, bals et concours de chapeaux, messes, caractérisent cette fête patronale et populaire au féminin, qui a été immortalisée par de nombreuses prises de vues. On peut se demander quels sont précisément les langages – symboliques, professionnels, sociaux et revendicatifs mobilisés lors de ces célébrations et comment alors les normes sont négociées, jouées voire critiquées par les ouvrières en fête. […] Le retournement sémantique des signes festifs contribue ainsi à la fois à l’observation des normes à l’œuvre et à la compréhension de la façon dont s’opère la démonstration des rapports de classe et de genre69.

La fête de Sainte Catherine nous ramène donc aux considérations relatives à l’éducation des filles, à leur rapport aux épingles et aux aiguilles, et par là même, à l’éducation des garçons et à leur rapport aux nids. Il est hors de propos d’aller ici plus loin dans cette question très vaste. On pourra à ce sujet se référer à la belle conférence donnée par Daniel Fabre, en 2015, intitulée « L’invisible initiation : devenir filles et garçons dans les sociétés rurales d’Europe70 ». On y retrouve ce que nous avons évoqué plus haut au sujet des filles qui cousent, préparent leur trousseau, brodent des mouchoirs offerts à leurs amoureux, ou lisent au « pré aux vaches », tandis que « les garçons ont la passion des oiseaux, qu’ils commencent très jeunes à dénicher, à apprivoiser, à imiter, en particulier en modulant des cris d’oiseaux ou en sifflant71 ». Et l’auteur nous rappelle les souvenirs de Chateaubriand, de Stendhal ou de Sartre qui dit dans Les mots (Paris, Gallimard, 1964, p. 41) : « les livres ont été mes oiseaux et mes nids.72 »

Or, la construction des nids par les oiseaux est une forme « première », la plus « naturelle », de la couture, du tissage et de la broderie73. De l’étrange rapport entre l’« invisible initiation » des garçons (et leur « petit oiseau », « zizi », « uccello », « Vogel ») et l’activité des filles, « dames-oiselles », nous retiendrons ici que la référence aux nids invite à considérer une dimension plus universelle des arts du tissu : la production d’un bel ouvrage en harmonie avec la beauté de la nature, un art d’habiter le monde.

Produire du beau : prestige de la décoration, plaisir de la maîtrise technique

En effet, après nous être limités à des aspects de la broderie dans le monde chrétien, à leurs ancrages dans des traditions plus anciennes, et afin de pouvoir comprendre la place de la broderie dans le monde contemporain, si éloigné de la prégnance de ces contextes culturels, il peut être pertinent de s’interroger à présent sur la portée universelle du sens de ce « geste » de création, car la broderie est un art que l’on trouve dans diverses civilisations et il est très ancien :

l’art de la broderie, comme celui du tissage remonte à la plus haute Antiquité, car, dès l’instant où l’homme fut capable d’exécuter ou de coudre des tissus au moyen d’une aiguille, il fut animé du désir de les orner […] si obscure que soit son origine, il semble que de tout temps la broderie ait été pratiquée à domicile et qu’elle ait également fait l’objet – lorsque les sociétés devinrent plus raffinées – d’une activité organisée dans les cours, les couvents et le villes où les hommes et les femmes s’ingénièrent par cette technique à enrichir le costumes d’apparat, les ornements du culte ou les tentures d’ameublement74.

Par exemple, dans le monde hébreu, de nombreuses références bibliques mentionnent la broderie dont on peut penser qu’elle a été favorisée, sous forme non figurative, par l’interdit des images :

L’art de broder, que les Israélites pratiquaient très habilement, était connu chez eux de longue date. Le chant de Débora (Jug 5 :30) parle déjà d’habits brodés ; le Cantique des Cantiques attribue à Salomon un palanquin royal orné de broderies dues à des femmes de Jérusalem (Ca 3 :10), mais le texte hébreu semble altéré. D’après Hérodote, les Égyptiennes faisaient un commerce important de leurs travaux d’aiguille ; on en a retrouvé des spécimens sur des momies. D’autre part, des sculptures assyriennes, notamment une figure sculptée d’Assournazirpal, représentent sur les habits royaux des broderies très ouvragées. L’art de broder est venu de Babylonie, pays des tissus fins et des habits luxueux ; les Phrygiens firent passer la broderie en Grèce et en Occident75.

Mais on trouve dans bien d’autres civilisations des décorations brodées, figuratives ou à motifs purement géométriques76. Dans un chapitre intitulé « Portraits d’artistes77 », Claude Lévi-Strauss, s’appuyant sur les travaux de J. R. Walker (Lakota Belief and Ritual, Univ. Of Nebraska Press, 1991, p. 165-166) nous parle de femmes de tribus des Plaines de l’Amérique du Nord qui, pendant que les hommes peignent sur divers supports, sont occupées à la broderie avec des piquants de porc-épic, de longueurs variables, aplatis, assouplis et teints, qu’il faut savoir « plier, nouer, tresser, entrelacer et coudre78 ». L’intérêt de cet exemple pris « loin » de notre univers culturel est que la description de Lévi-Strauss nous permet d’y voir, comme un condensé des thèmes que nous venons d’évoquer : un travail féminin ; des « aiguilles » au statut ambigu (outil et matériau à la fois) ; la diversité des étapes nécessaires à la production ; la recherche de beaux motifs obtenus par une grande maîtrise technique, source de prestige ; une place importante du rêve qui, en amont de l’œuvre, est la source d’inspiration de ces motifs et de leur signification symbolique. Rien n’interdit, d’ailleurs, que la brodeuse de « chez nous » rêve, non seulement comme on l’a supposé, au cours de son travail mais qu’elle soit aussi inspirée par un rêve avant de l’effectuer.

Un aspect de ce portrait de brodeuse des Plaines retient particulièrement notre attention : le rêve de la brodeuse, sa source d’inspiration, est en fait habité par la rencontre avec une

divinité à double face, mère des arts […] Quand elle [la divinité] avait inspiré un nouveau motif à une femme, d’autres femmes le copiaient et il tombait dans le répertoire tribal. Mais la créatrice elle-même restait un personnage hors du commun79.

[...] désormais personne ne peut la dépasser dans tout ce qu’elle entreprend. Mais [dit un informateur] cette femme se conduit tout à fait comme une folle. Elle rit impulsivement, elle agit de façon imprévisible. Elle rend possédés les hommes qui l’approchent. C’est pourquoi on appelle ces femmes des Doubles Dames. Elles couchent aussi avec n’importe qui. […] Elles font aussi des travaux d’homme80.

Nous pourrions interpréter ce phénomène avec nos codes et voir que cette brodeuse, d’un point de vue social, est émancipée, et que, d’un point de vue mythologique, elle est comme le Janus bifrons des romains, un être à deux faces qui vit entre deux mondes (le monde présent et l’au-delà, le futur et le passé). C’est cela qui donne à l’activité du fil (ou plutôt des piquants de porc-épic à la fois fils et aiguilles) son caractère enchanté.

Dans une autre aire culturelle, et parmi de nombreux exemples analysés dans son ouvrage L’art primitif81, Franz Boas montre l’image de broderies Koriak (extrémité Est de la Sibérie), et dans ce même ouvrage, l’auteur perçoit dans les arts « primitifs » une tendance universelle de recherche de régularité (frises), de beauté (fonction décorative) : « Je pense que l’on peut affirmer sans risque que, dans le domaine restreint de l’art propre à chaque peuple, leur plaisir devant la beauté est très semblable au nôtre : intense chez une minorité, superficiel au sein de la masse82. »

Cependant, dans son ouvrage Regarder, écouter, lire, Claude Levi-Strauss formule un désaccord partiel avec Boas :

Régularité, symétrie, rythme seraient donc pour Boas (comme déjà pour Diderot) à la base de toute activité esthétique. Mais le formalisme de Boas exclut que cette imitation directe ou indirecte de contraintes physiques ou corporelles ait sa source dans des émotions, ou qu’elle véhicule un message. La charge émotive, quand elle existe, se surajoute au message83.

Or, le message et sa charge émotive varient selon les cultures et, à ce sujet, mais dans un autre contexte théorique, le peintre Vassili Kandinsky84 nous permet de réduire la divergence entre les deux ethnologues : il pointe la différence entre imiter la nature et en trouver les ressorts de la création de formes qui relèvent d’une symbiose entre la « résonance intérieure » de « l’âme » de l’artiste et de « toute une atmosphère morale et spirituelle85 » propre à une époque – époque souvent longue à reconnaître la valeur des « visions » de l’artiste, placées au sommet d’une sorte de « triangle » dynamique qui avance avec le cours de l’histoire.

Ce rapport à la création rejoint ici un des aspects de la prière envisagé plus haut. Par exemple, peut apparaître dans le cas de la production de lettres brodées, comme dans la calligraphie à l’encre, la même impression de se rapprocher, non pas seulement du monde créé, mais aussi de la création par la désignation des choses, par des lettres qui prennent alors un caractère sacré, indépendamment du contenu manifeste du texte écrit.

Ces considérations sur le caractère « sacré » ou le retard de reconnaissance d’une création authentiquement dynamique, nouvelle, dans la vie culturelle d’une époque, nous amènent maintenant à prendre en compte une dernière particularité dynamique de la broderie, que traduisent bien les deux définitions suivantes de la « broderie musicale » : « Note succédant à une note réelle, pendant la durée d’un accord quelconque, par degré conjoint inférieur ou supérieur, retournant ensuite à cette note réelle86. » « En harmonie tonale, une broderie est une note étrangère qui s’éloigne conjointement d’une note réelle pour y revenir aussitôt. Une broderie forme une dissonance passagère87 ».

Ces deux définitions peuvent être considérées comme des métaphores de la broderie de nos brodeuses : une sorte d’écart par rapport au réel, une dissonance passagère dans la tonalité de base. En effet, la broderie, dans toutes les civilisations, peut-être par son caractère gratuit d’activité de décoration (même si broder est parfois un métier rémunéré) est une dissonance passagère, un léger trébuchement de la norme, un écart d’avec la tonalité dominante de recherche de rendement, de profit, d’utilité. Cela est congru avec cet écart que nous avons souligné entre la régularité d’un tissu et la liberté d’un motif, entre cette liberté et la contrainte de « ne pas déborder » des contours du dessin lui-même cerné par l’espace du « cerceau » de la brodeuse.

Ces dualités multiples entre soumission et résistance, contrainte et liberté, dissonance et retour à l’équilibre tonal, semblent se greffer sur celle que nous avions posée au début de cet article entre broderie et dentelle. Un poème de Mallarmé, intitulé Une dentelle s’abolit, savante broderie de mots sur le motif d’une dentelle et du sommeil d’un instrument de musique, nous y invite maintenant, comme en contrepoint à notre propos.

Une dentelle s’abolit
Dans le doute du Jeu suprême
À n’entr’ouvrir comme un blasphème
Qu’absence éternelle de lit.

Cet unanime blanc conflit
D’une guirlande avec la même,
Enfui contre la vitre blême
Flotte plus qu’il n’ensevelit.

Mais, chez qui du rêve se dore
Tristement dort une mandore
Au creux néant musicien

Telle que vers quelque fenêtre
Selon nul ventre que le sien,
Filial on aurait pu naître88.

La brodeuse, une « fenestrière »

Tentons une brève interprétation adaptée à notre propos de ce mystérieux poème de Mallarmé : si l’image de la brodeuse est celle, inversée, de la dentellière, alors la « dentelle qui s’abolit », cache ou révèle un lit absent de toute procréation, donne, par une double inversion, l’idée d’un motif de broderie. Ce motif apparaît, se dessine en un « Jeu suprême » sur « l’unanime blanc » de la dentelle du rideau et des draps du lit. Mais comme le suggèrent les deux tercets, apparaît « chez qui » (brodeuse ou poète) « du rêve se dore », la référence à la mandore, et donc un possible motif musical en gestation dans le « néant musicien ». Alors la naissance de ce motif est aussi, à bien regarder vers « quelque fenêtre », la naissance de cette brodeuse (ou de ce poète) elle-même, « selon nul ventre que le sien ». La brodeuse devient ainsi, comme certaines femmes des tableaux de Vermeer, une « fenestrière89 », située au passage de la frontière entre deux mondes.

On pourrait alors entendre que le poète nous dit, dans un autre contexte que celui de l’ethnologie : la broderie, brève dissonance greffée sur la tonalité plate du néant de la vie, est une des métaphores possibles de la préparation à une (re)naissance. Si l’on associe la broderie au tissu qui en est le support, on pourrait aussi évoquer la métaphore de « l’antre des nymphes » d’Ithaque décrite dans l’Odyssée (chant XIII) : on y voit de longs métiers de pierre, où les nymphes « tissent, merveilles pour les yeux, des étoffes, teintes à la pourpre de mer90 ». Selon Porphyre, les Naïades y assurent le cycle de la vie en tissant sur leurs os la chair des êtres vivants, ainsi réunis à leurs âmes comme, pour nous, la brodeuse donne vie à la neutralité « blanche » du tissu.

Qu’en retenir pour aujourd’hui ? La broderie industrielle ou « assistée par ordinateur » a perdu son rapport au geste et à la matière (fil, aiguille, tissu), elle a perdu son rapport au temps long de l’apprentissage et de l’ouvrage, son rapport aux grands cycles de la vie. Si l’on assiste aujourd’hui à un regain d’intérêt pour la broderie (ateliers d’apprentissage, associations) c’est peut-être par réaction des personnes contre leur statut de « simples » consommateurs pressés. La crise du Covid et les « confinements » qui l’ont accompagnée a peut-être favorisé ce retour aux occupations qui exigent du temps et à la (re)découverte de l’importance d’avoir des moments « à soi », éventuellement partagés avec un groupe. Ces moments consacrés à « L’ornement, l’inutile, le dérobé91 », permettent un certain détachement de l’agitation du monde (donc une résistance à l’assignation à consommer ou à produire vite) et laissent paradoxalement percevoir, par « soumission volontaire » à une discipline productrice de beauté, la possibilité d’accéder (même dans un contexte totalement laïcisé), par le rêve ou la « prière », à un au-delà de notre condition de finitude.

Broder c’est finalement, et ce, peut-être dans toutes les cultures, empêcher le monde de se « défiler ». Le cerceau de la brodeuse, « borde » un monde, microcosme du monde, pour ne pas perdre de vue son unité ; broder est donc une façon de résister à l’effilochage du temps, de soi, du monde et se soumettre à un idéal d’harmonie, d’unité. C’est aujourd’hui à la fois une forme de résistance à la « condition de l’homme moderne » (qu’il soit homme ou femme) et une lucide soumission à sa condition de mortel.

1 De nombreuses associations accompagnent les particuliers désireux de pratiquer de manière conviviale ce type d’activités. En témoigne par exemple l’

2 Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, [Introduction de Claude Lévi-Strauss], Paris, Quadrige/PUF., 6e éd., 1955 [1950], p. 308.

3 Ibid., p. 384.

4 Maurice Halbwachs, La mémoire collective, [préf. Gérard Namer], Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque de « l’Évolution de l’Humanité », 1997 [

5 Nous faisons ici le choix de limiter notre propos à un champ très restreint de cette pratique : la broderie à l’aiguille (et non pas au crochet ou à

6 Cette exploration de travaux ethnologiques est préalable à une éventuelle enquête à venir dans l’univers de la broderie aujourd’hui. En effet, bien

7 Le concept de « style de culture » est développé dans l’œuvre de Franz Boas. Claude Lévi-Strauss, au sujet de Boas écrit : « chaque culture a un

8 L’intérêt de l’ethnologie pour l’ensemble des activités du tissu peut s’expliquer entre autres par l’importance anthropologique du vêtement, le

9 Le conte (du type quête de la fille du diable) est connu de l’Irlande jusqu’à la Corée. « Des femmes-cygnes ou des filles du ciel, descendues sur

10 Outre les nombreux sites consacrés à la dentelle et à la broderie, on trouvera une agréable présentation de la technique de la broderie au fuseau

11 Citons, parmi bien d’autres, l’importante contribution de l’ethnologue Jack Goody, au sujet des effets de l’invention et de la pratique de l’

12 Henri Bergson, Le rêve. Suivi d’un chapitre sur les rêves de R.L. Stevenson, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2018, p.

13 Ibid., p. 75.

14 Dans son discours à l’académie Nobel, le physicien Richard Feynman (Richard Feynman, La nature de la physique, [trad. Hélène Isaac, Jean-Marc

15 Marlène Albert-Llorca, « Les fils de la Vierge. Broderie et dentelle dans l’éducation des jeunes filles », L’Homme n° 133, t. 35, 1995, p. 106

16 Faisant suite aux transmissions orales de récits dans les premières communautés chrétiennes, l’affirmation écrite de la virginité de Marie se

17 On pourra se référer à ce sujet au livre d’Armand Abécassis : Armand Abécassis, « En vérité je vous le dis ». Une lecture juive des évangiles

18 Dans Actes 17, 23 : « en parcourant votre ville et en considérant les objets de votre dévotion, j’ai même découvert un autel avec cette inscription

19 Par exemple le protévangile de Jacques, X, XII in Pierre Crépon, Les évangiles apocryphes. Pour éclairer le nouveau testament, Paris, Retz, coll. «

20 C’est ce même voile du temple qui se déchire de haut en bas au moment de la mort de Jésus (Matthieu 27.50-51a). Est signifié un nouveau rapport de

21 Évangile de Jean 19, 23. On peut percevoir ici un aspect important des activités de couture : reconstituer, en rassemblant des éléments avec des

22 Marlène Albert-Llorca, op. cit., p. 106.

23 Ibid., p. 108.

24 Marlène Albert-Llorca, op. cit., p. 109.

25 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, 1979. 

26 Marlène Albert-Llorca, op. cit., p. 114.

27 Daniel Fabre, « Lire au féminin », Clio. Femmes, Genre, Histoire, n° 11 « Parler, chanter, lire, écrire », 2000, p. 4, https://doi.org/10.4000/clio

28 Daniel Fabre, op. cit., p. 5.

29 Ibid., p. 10.

30 Anna Iuso, « “Ma vie est un ouvrage à l’aiguille”. Écrire, coudre et broder au xixe siècle », Clio. Femmes, Genre, Histoire, n° 35, 2012, p. 98

31 Yvonne Verdier, « Grands-mères si vous saviez… Le Petit Chaperon rouge dans la tradition orale », Cahiers de littérature orale, n° 4, 1977, p. 

32 Lucie Desideri, « Alphabets initiatiques », Ethnologie française n° 4, vol. 33, 2003, p. 673-682, p. 678, https://doi.org/10.3917/ethn.034.0673.

33 Ibid., p. 678.

34 Ibid., p. 678.

35 Lucie Desideri, op. cit., p. 680.

36 Yvonne Verdier, Le Petit Chaperon rouge dans la tradition orale, Paris, Allia, 2014. Cette étude d’Yvonne Verdier est caractéristique d’un ensemble

37 Anne Monjaret, « De l’épingle à l’aiguille. L’éducation des jeunes filles au fil des contes », L’Homme, vol. 173, n° 1, 2005, p. 122, https://doi.

38 Ibid., p. 123.

39 Anne Monjaret, op. cit., p. 126.

40 L’aiguille percée, munie du fil, est bien sûr symbole de perte de la virginité mais on peut lui voir aussi un aspect androgyne : elle traverse le

41 Yvonne Verdier décèle, parmi les croyances des gens de Minot, un rapport entre le lavage du linge et le « destin » : « Ici laveuses nocturnes, les

42 Stephen C. Headley, « Pour une anthropologie de la prière », L’Homme, n° 132, t. 34, 1994, p. 7-14,https://doi.org/10.3406/hom.1994.369821. Fichier

43 Les références mentionnées dans les citations sont celles utilisées dans ce numéro spécial de la revue.

44 Stephen C. Headley, op. cit., p. 8.

45 Nous avons vu plus haut que Bergson, au sujet du dormeur-rêveur, qualifie cet état de « désintéressement ».

46 Onpeut penser aussi aux pratiques des chamanes analysées par Charles Stépanoff (Charles Stépanoff, Voyager dans l’invisible. Techniques chamaniques

47 Stephen C. Headley, op. cit., p. 11-12.

48 Ibid., p. 12.

49 Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, [trad. Jacques Chavy], Paris, Plon, coll. « Agora », 1967, [1964], p. 81.

50 Mircea Eliade, « Le “dieu lieur” et le symbolisme des nœuds », Revue de l’histoire des religions, n° 1-3, t. 134, 1947, p. 5-36, https://doi.org/10

51 Ibid., p. 26.

52 Mircea Eliade, op. cit., p. 26.

53 Philippe Jaccottet, Poésie 1946-1967, [préf. Jean Starobinski], Paris, Gallimard, coll. « Poésie », « Oiseaux, fleurs et fruits », 1994 [1971], p. 

54 Saint Blaise est invoqué, entre autres, pour guérir les maux de gorge, lors d’une prière effectuée avec deux chandelles allumées croisées sur la

55 Par exemple, « En Angleterre, la femme surprise à filer le jour de la Saint Blaise était poursuivie par ses compagnes et SON FUSEAU JETÉ AU FEU […]

56 Claude Gaignebet, Marie-Claude Florentin, Le Carnaval, op. cit., p. 81-82.

57 Ibid. p. 65.

58 On en trouvera une édition conforme à une édition de 1479/1480 présentée par Jacques Lacarrière : « Plusieurs des écolières étaient déjà là

59 Du Fail, 1842, in Claude Gaignebet, Jean-Dominique Lajoux, Art profane et religion populaire au Moyen Âge, Paris, PUF, 1985, p. 42.

60 Pierre Saintyves, Les contes de Perrault et les récits parallèles (leurs origines). En marge de la légende dorée. Songes, miracles et survivances.

61 On notera que, pour cet auteur, cette « religion » est associée au culte des géants tels Gargantua et sa parèdre Mélusine. Par ailleurs, il serait

62 Claude Gaignebet, Marie-Claude Florentin, Le Carnaval. Essais de mythologie populaire, op. cit., p. 75.

63 Claude Gaignebet, Marie-Claude Florentin, op. cit., p. 65.

64 Ibid., note 1, p. 65.

65 « Le 25 novembre […] ou au solstice d’hiver (21-22 décembre), il était conseillé d’arrêter les roues de toutes sorte, dont les rouets instruments

66 La notion « d’efficacité symbolique », est un thème majeur de l’ethnologie à la croisée des « croyances » individuelles et des structures sociales

67 Que les reines de France aient été enterrées avec leur fuseau, est un signe de leur pouvoir. On peut penser aussi à la pratique de la « nouaison de

68 La jeune femme errante de l’hiver, proche du cimetière, dans le film d’Agnès Varda, Sans toit ni loi (1985) semble appartenir à cet entre-deux qui

69 Anne Monjaret, « Jour de fête pour les midinettes. L’envers de la Sainte-Catherine : les normes derrière la dérision festive », Modes pratiques, n°

70 Daniel Fabre, L’invisible initiation, Paris, éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, coll. « Audiographie », 2019.

71 Ibid., p. 70.

72 Ibid., p. 88.

73 Philippe Walter (Philippe Walter, Ma mère l’Oie. Mythologie et folklore dans les contes de fées, Paris, Imago, 2017, p. 139), évoque la

74 E. Gaudry, M. Risselin-Steenberugen, M. Pirazzoli, M. Paul-David, 1968, article « Tissus d’Art » in Encyclopædia Universalis, vol. 16, Paris

75 Citation extraite d’un site internet : https://topbible.topchretien.com/dictionnaire/broderie/.

76 Mihaela Bacou, Brunhilde Biebuyck (Mihaela Bacou, Brunhilde Biebuyck, « Editorial », Cahiers de littérature orale n° 19, « Paroles tissées…Paroles

77 Claude Lévi-Strauss, Nous sommes tous des cannibales. Précédé de Le père Noël supplicié, op. cit., p. 131-144.

78 Claude Lévi-Strauss, op. cit., p. 131.

79 Ibid., p. 132.

80 J.R. Walker in Claude Lévi-Strauss, op. cit., p. 132.

81 Franz Boas, L’art primitif, [trad. Catherine Fraixe et Manuel Benguigui, présentation Marie Mauzé], Paris, Adam Biro, coll. « Anthropologie, Arts

82 Franz Boas, op. cit., p. 386.

83 Claude Lévi-Strauss, Regarder, écouter, lire, Paris, Plon, 1993, p. 156.

84 Vassily Kandinsky, Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, [trad. Nicole Debrand et Bernadette du Crest, préf. Philippe Sers]

85 Ibid., p. 52.

86 Norbert Dufourcq (dir.), Larousse de la musique, t. 1, Paris, Librairie Larousse, 1957, article « Broderie », p. 133.

87 Encyclopédie en ligne Wikipedia, article, « Broderie (musique) », https://fr.wikipedia.org/wiki/broderie_(musique).

88 Stéphane Mallarmé, Poésies, [préf. Jean-Paul Sartre], Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1945 [éd., 1952 pour la préface], p. 102-103. Poèmemis en

89 Le mot « fenestrière » est utilisé par Yvonne Verdier au sujet de la couturière comme le rappelle Claude Gaignebet : Claude Gaignebet, « La “

90 Homère in Porphyre, L’antre des nymphes dans l’Odyssée, [Traduit du grec par Yann Le Lay d’après le texte nouvellement établi par le séminaire « 

91 Philippe Jaccottet, Cahier de verdure. Suivi de Après beaucoup d’années, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », « Les Pivoines »,1990, p. 105.

Notes

1 De nombreuses associations accompagnent les particuliers désireux de pratiquer de manière conviviale ce type d’activités. En témoigne par exemple l’émission « Un regain d’intérêt pour les loisirs créatifs ». Interview de Julie Beckrich, publiée le 07/09/2016, https://francetvinfo.fr/France/un-regain-d-interet-pour-les-loisirs-creatifs_1814297.html.

2 Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, [Introduction de Claude Lévi-Strauss], Paris, Quadrige/PUF., 6e éd., 1955 [1950], p. 308.

3 Ibid., p. 384.

4 Maurice Halbwachs, La mémoire collective, [préf. Gérard Namer], Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque de « l’Évolution de l’Humanité », 1997 [1950], p. 42-43, note 1 : « Beethoven atteint de surdité (était bien isolé) était séparé du monde auditif imparfait où se mouvaient les autres hommes. […] il vivait sur des souvenirs musicaux […] il restait (comme en contact) étroitement engagé dans la société des musiciens et comme rien ne l’écartait, il n’était en réalité jamais seul ».

5 Nous faisons ici le choix de limiter notre propos à un champ très restreint de cette pratique : la broderie à l’aiguille (et non pas au crochet ou à la machine informatisée), pratiquée par les femmes, essentiellement dans le monde occidental.

6 Cette exploration de travaux ethnologiques est préalable à une éventuelle enquête à venir dans l’univers de la broderie aujourd’hui. En effet, bien qu’il ne soit pas sans intérêt de demander tout de go à un panel de brodeuses pourquoi elles brodent, quel plaisir elles ressentent en brodant ou comment elles ont été initiées à la broderie, il convient de concevoir des guides d’entretien et d’interpréter les scripts des réponses à l’aide de divers éclairages théoriques qui permettent d’expliciter la problématique et la méthode retenues.

7 Le concept de « style de culture » est développé dans l’œuvre de Franz Boas. Claude Lévi-Strauss, au sujet de Boas écrit : « chaque culture a un style qui s’exprime à travers des catégories grammaticales, l’art, et qu’on peut définir par un certain type d’équilibre entre les coutumes, les croyances, les thèmes mythiques », Claude Lévi-Strauss, « Boas Franz » in Pierre Bonte, Michel Izard (Dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, PUF, 1992 [1991], p. 118.

8 L’intérêt de l’ethnologie pour l’ensemble des activités du tissu peut s’expliquer entre autres par l’importance anthropologique du vêtement, le terme étant pris dans le sens le plus général, qui va du simple étui pénien aux ouvrages de la haute couture. Se vêtir est le propre de l’homme et le vêtement est comme « un point triple », à la frontière entre culture, nature et « surnature ». Les auteurs de la Genèse (gen. 3,7 et 3,21) l’ont très bien perçu et André Leroi-Gourhan note que « Nus et figés, le grand prêtre et le vagabond ne sont que des cadavres de mammifères supérieurs dans un temps et un espace sans signification parce qu’ils ne sont plus le support d’un système symboliquement humain. », André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, t. 2 « La mémoire et les rythmes », Paris, Albin Michel, coll. « Sciences d’aujourd’hui », 1965, p. 138.

9 Le conte (du type quête de la fille du diable) est connu de l’Irlande jusqu’à la Corée. « Des femmes-cygnes ou des filles du ciel, descendues sur terre pour se baigner, abandonnent leurs vêtements de plumes ou leur “petite chemise” qui les rendent invisibles aux hommes » (Claude Gaignebet, Marie-Claude Florentin, Le Carnaval. Essais de mythologie populaire, [préf. Claude Mettra], Paris, Payot, coll. « Le regard de l’histoire »,1974, p. 92).

10 Outre les nombreux sites consacrés à la dentelle et à la broderie, on trouvera une agréable présentation de la technique de la broderie au fuseau dans le petit ouvrage : Bernard Coussée, Dentelle de Flandre®, Bernard Coussée, Lille, 1991.

11 Citons, parmi bien d’autres, l’importante contribution de l’ethnologue Jack Goody, au sujet des effets de l’invention et de la pratique de l’écriture sur les formes de pensée logique. Pour une vue d’ensemble de son argumentation : Jack Goody, Pouvoirs et savoirs de l’écrit, [trad. Claire Maniez, présentation Jean-Marie Privat], Paris, La Dispute, 2007. Sans oublier l’œuvre de pionnier de Mac Luhan, par exemple dans Marshall Mc Luhan, Pour comprendre les médias. Les prolongements technologiques de l’homme, [trad. Jean Paré], Paris, Mame/Seuil, coll. « Points », 1968 [1re éd. en anglais, 1964].

12 Henri Bergson, Le rêve. Suivi d’un chapitre sur les rêves de R.L. Stevenson, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2018, p. 62.

13 Ibid., p. 75.

14 Dans son discours à l’académie Nobel, le physicien Richard Feynman (Richard Feynman, La nature de la physique, [trad. Hélène Isaac, Jean-Marc Lévy-Leblond, Françoise Balibar], Paris, Seuil, coll. « Point sciences », 1980, p. 251) raconte avec humour une curieuse « expérience de pensée » : il n’y aurait dans le monde qu’un seul électron mais, comme le fil de la brodeuse, il va et vient, sans cesse du passé au futur, du futur au passé et se retrouve donc simultanément dans tous les points de l’espace sous forme d’électron ou de positron selon le sens de son parcours du temps.

15 Marlène Albert-Llorca, « Les fils de la Vierge. Broderie et dentelle dans l’éducation des jeunes filles », L’Homme n° 133, t. 35, 1995, p. 106, https://doi.org/10.3406/hom.1995.369880. Fichier pdf généré le 21/11/2018. URL : www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1995_num_35_133_369880. Consulté le 18/06/2023.

16 Faisant suite aux transmissions orales de récits dans les premières communautés chrétiennes, l’affirmation écrite de la virginité de Marie se trouve entre autres dans des évangiles : Matthieu 1, 20 (écrit vers 80 ?) et Luc 1, 34-35 (écrit vers le milieu du IIe siècle ?). Puis, en réponse à la permanence de la ferveur populaire et à des considérations plus théologiques, l’église a élaboré des dogmes : « maternité divine » en 431 (concile d’Ephèse), « virginité perpétuelle de Marie » (élaboré au 2e concile de Constantinople en 553 et défini au concile de Latran en 649).

17 On pourra se référer à ce sujet au livre d’Armand Abécassis : Armand Abécassis, « En vérité je vous le dis ». Une lecture juive des évangiles, Paris, Edition n°1, 1999, tout particulièrement p. 147-161.

18 Dans Actes 17, 23 : « en parcourant votre ville et en considérant les objets de votre dévotion, j’ai même découvert un autel avec cette inscription : À un dieu inconnu ! Ce que vous révérez sans le connaître, c’est ce que je vous annonce ».

19 Par exemple le protévangile de Jacques, X, XII in Pierre Crépon, Les évangiles apocryphes. Pour éclairer le nouveau testament, Paris, Retz, coll. « Retz poche », 1989 [1983], p. 33-34.

20 C’est ce même voile du temple qui se déchire de haut en bas au moment de la mort de Jésus (Matthieu 27.50-51a). Est signifié un nouveau rapport de l’homme à Dieu, direct, sans le filtre du voile qui révèle et cache la divinité par le jeu de ses plis, sa mobilité et la respiration du tissu.

21 Évangile de Jean 19, 23. On peut percevoir ici un aspect important des activités de couture : reconstituer, en rassemblant des éléments avec des points (voire en recouvrant ces points de couture par des broderies) l’idéal d’une unité, comme celle de la tunique du Christ. Notons aussi que l’assemblage des parties est à l’origine d’un premier sens (spatial) de la notion de rythme et donc de vie. Lévi-Strauss cite le linguiste Benveniste pour qui, rhuthmos a pour sens primitif “ arrangement caractéristique des parties dans un tout ” (Claude Lévi-Strauss, Regarder, écouter, lire, Paris, Plon, 1993, p. 157).

22 Marlène Albert-Llorca, op. cit., p. 106.

23 Ibid., p. 108.

24 Marlène Albert-Llorca, op. cit., p. 109.

25 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, 1979. 

26 Marlène Albert-Llorca, op. cit., p. 114.

27 Daniel Fabre, « Lire au féminin », Clio. Femmes, Genre, Histoire, n° 11 « Parler, chanter, lire, écrire », 2000, p. 4, https://doi.org/10.4000/clio.219. Mis en ligne le 09/11/2007. URL : http://journals.openedition.org/clio/219. Consulté le 23/04/2022.

28 Daniel Fabre, op. cit., p. 5.

29 Ibid., p. 10.

30 Anna Iuso, « “Ma vie est un ouvrage à l’aiguille”. Écrire, coudre et broder au xixe siècle », Clio. Femmes, Genre, Histoire, n° 35, 2012, p. 98, https://doi.org/10.4000/clio.10515. Mis en ligne le 01/05/2014. URL : http://journals.openedition.org/clio/10515. Consulté le 02/03/2020.

31 Yvonne Verdier, « Grands-mères si vous saviez… Le Petit Chaperon rouge dans la tradition orale », Cahiers de littérature orale, n° 4, 1977, p. 17-55.

32 Lucie Desideri, « Alphabets initiatiques », Ethnologie française n° 4, vol. 33, 2003, p. 673-682, p. 678, https://doi.org/10.3917/ethn.034.0673. URL : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2003-4-page-673.htm. Consulté le 18/06/2023.

33 Ibid., p. 678.

34 Ibid., p. 678.

35 Lucie Desideri, op. cit., p. 680.

36 Yvonne Verdier, Le Petit Chaperon rouge dans la tradition orale, Paris, Allia, 2014. Cette étude d’Yvonne Verdier est caractéristique d’un ensemble de points de vue (psychanalytique, ethnologique, littéraire) sur le caractère symbolique des contes de fée. Il est intéressant de noter que les anciennes traditions orales, tout en demeurant des supports mémoriels à des « histoires » racontées aux enfants, sont devenues aussi des textes (souvent accompagnés d’images) qu’ils vont apprendre à lire. Elles deviennent ainsi des supports pour l’éducation des filles (et des garçons) par la lecture.

37 Anne Monjaret, « De l’épingle à l’aiguille. L’éducation des jeunes filles au fil des contes », L’Homme, vol. 173, n° 1, 2005, p. 122, https://doi.org/10.4000/lhomme.25033. Mis en ligne le 01/01/2007. URL : http://journals.openedition.org/lhomme/25033. Consulté le 19/04/2019.

38 Ibid., p. 123.

39 Anne Monjaret, op. cit., p. 126.

40 L’aiguille percée, munie du fil, est bien sûr symbole de perte de la virginité mais on peut lui voir aussi un aspect androgyne : elle traverse le tissu, en même temps qu’elle est traversée par le fil.

41 Yvonne Verdier décèle, parmi les croyances des gens de Minot, un rapport entre le lavage du linge et le « destin » : « Ici laveuses nocturnes, les dames de la fontaine personnifient le destin ; là, la Bonne Dame nettoie et purifie comme si le destin se jouait à la fontaine, en lavant. La laveuse qui « gaisse » à la fontaine serait donc en quelque sorte bien placée pour lire le destin de celui dont elle rince le linge, l’eau étant la matière même de ce destin » (Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, 1979, p. 143).

42 Stephen C. Headley, « Pour une anthropologie de la prière », L’Homme, n° 132, t. 34, 1994, p. 7-14, https://doi.org/10.3406/hom.1994.369821. Fichier pdf généré le 10/05/2018. URL : www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1994_num_34_132_369821. Consulté le 18/06/2023.

43 Les références mentionnées dans les citations sont celles utilisées dans ce numéro spécial de la revue.

44 Stephen C. Headley, op. cit., p. 8.

45 Nous avons vu plus haut que Bergson, au sujet du dormeur-rêveur, qualifie cet état de « désintéressement ».

46 On peut penser aussi aux pratiques des chamanes analysées par Charles Stépanoff (Charles Stépanoff, Voyager dans l’invisible. Techniques chamaniques de l’imagination, [préf. Philippe Descola], Paris, La Découverte, coll. « La Découverte poche », 2022 [2019]) : l’animation de leurs tambours décorés de divers motifs naturels et humains induit leur voyage mental et l’accès à un dialogue avec des esprits.

47 Stephen C. Headley, op. cit., p. 11-12.

48 Ibid., p. 12.

49 Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, [trad. Jacques Chavy], Paris, Plon, coll. « Agora », 1967, [1964], p. 81.

50 Mircea Eliade, « Le “dieu lieur” et le symbolisme des nœuds », Revue de l’histoire des religions, n° 1-3, t. 134, 1947, p. 5-36, https://doi.org/10.3406/rhr.1947.5598. Fichier pdf généré le 10/04/2018. URL : www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1947_num_134_1_5598. Consulté le 18/06/2023.

51 Ibid., p. 26.

52 Mircea Eliade, op. cit., p. 26.

53 Philippe Jaccottet, Poésie 1946-1967, [préf. Jean Starobinski], Paris, Gallimard, coll. « Poésie », « Oiseaux, fleurs et fruits », 1994 [1971], p. 124.

54 Saint Blaise est invoqué, entre autres, pour guérir les maux de gorge, lors d’une prière effectuée avec deux chandelles allumées croisées sur la gorge du patient. Un des objets de la thèse de Claude Gaignebet (Claude Gaignebet, À plus hault sens. L’ésotérisme spirituel et charnel de Rabelais, t. 1, Paris, Maisonneuve & Larose, 1986) est que le culte polymorphe de ce saint aurait un rapport complexe avec diverses légendes de Gargantua, Pantagruel (et autres géants), personnages de l’œuvre de Rabelais.

55 Par exemple, « En Angleterre, la femme surprise à filer le jour de la Saint Blaise était poursuivie par ses compagnes et SON FUSEAU JETÉ AU FEU […]. On explique cet interdit par le danger qu’il y aurait, à cette période de l’année, à lier magiquement les vents. ». (Claude Gaignebet, À plus hault sens, op. cit., p. 191).

56 Claude Gaignebet, Marie-Claude Florentin, Le Carnaval, op. cit., p. 81-82.

57 Ibid. p. 65.

58 On en trouvera une édition conforme à une édition de 1479/1480 présentée par Jacques Lacarrière : « Plusieurs des écolières étaient déjà là, commençant à dévider et faire leurs écheveaux, car elles ne pouvaient filer un samedi, jour de la Vierge Marie. » (Jacques Lacarrière, Les Évangiles des quenouilles, Paris, Albin Michel, coll. « Espaces libres », 1998 [1987], p. 112).

59 Du Fail, 1842, in Claude Gaignebet, Jean-Dominique Lajoux, Art profane et religion populaire au Moyen Âge, Paris, PUF, 1985, p. 42.

60 Pierre Saintyves, Les contes de Perrault et les récits parallèles (leurs origines). En marge de la légende dorée. Songes, miracles et survivances. Les reliques et les images légendaires, [préf. Francis Baumal], Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1987, p. 84-85.

61 On notera que, pour cet auteur, cette « religion » est associée au culte des géants tels Gargantua et sa parèdre Mélusine. Par ailleurs, il serait erroné de limiter Carnaval à la période la plus connue qui commence à l’épiphanie le 6 janvier et se clôt le mardi gras (autour de la fin février) jour qui précède la période du carême. Philippe Walter (Philippe Walter, Mythologie chrétienne. Fêtes, rites et mythes du Moyen Âge, Paris, Imago, 2015, p. 14), en accord avec Claude Gaignebet, mentionne huit grandes dates du calendrier carnavalesque, structurées par des périodes de 40 jours. Citons celles qui concernent nos fêtes : proche de la Sainte Catherine le 25 novembre, la Toussaint (1er novembre) et la Saint Martin (11 novembre) ; proche du 25 janvier, les cordiers et Saint Paul, Noël et les Douze Jours (25 décembre – 6 janvier) ; proche de la Chandeleur-Saint Blaise (3 février), mardi gras ; fête de la Saint-Pierre-aux-Liens (1er août).

62 Claude Gaignebet, Marie-Claude Florentin, Le Carnaval. Essais de mythologie populaire, op. cit., p. 75.

63 Claude Gaignebet, Marie-Claude Florentin, op. cit., p. 65.

64 Ibid., note 1, p. 65.

65 « Le 25 novembre […] ou au solstice d’hiver (21-22 décembre), il était conseillé d’arrêter les roues de toutes sorte, dont les rouets instruments de la fileuse. » (Anne Monjaret, op. cit., p. 138). Filer et bobiner risque de freiner les premiers pas de l’année nouvelle. L’auteur note que, dans La légende dorée de Jacques de Voragine, il est dit que Catherine d’Alexandrie a été martyrisée sur une roue (qui représente le soleil).

66 La notion « d’efficacité symbolique », est un thème majeur de l’ethnologie à la croisée des « croyances » individuelles et des structures sociales qui imposent leur « logique » indépendamment de la conscience qu’en ont les acteurs.

67 Que les reines de France aient été enterrées avec leur fuseau, est un signe de leur pouvoir. On peut penser aussi à la pratique de la « nouaison de l’aiguillette » pour frapper d’impuissance un homme visé par cet acte de « sorcellerie » le jour de son mariage. Et l’on voit qu’à la Sainte Catherine l’interdiction de filer va de pair avec les prières favorisant le mariage. De même, les activités du tissu, porteuses de mort, portent aussi la vie : le rouissage (Saint Laurent, Saint Blaise), enlève les impuretés. La dernière Parque coupe le fil de la vie mais le fil d’Ariane libère Thésée de la mort, il revient à l’origine.

68 La jeune femme errante de l’hiver, proche du cimetière, dans le film d’Agnès Varda, Sans toit ni loi (1985) semble appartenir à cet entre-deux qui sépare le monde des vivants et celui des morts, comme, à Halloween les vieilles sorcières, ou à Noël, le vieux bonhomme barbu si proche des enfants – et donc de l’enfant Jésus – tout juste sortis du monde des « pas encore nés ». On pourra, au sujet de Père Noël se référer à un petit texte de Claude Levi-Strauss : Claude Lévi-Strauss, Nous sommes tous des cannibales. Précédé de Le père Noël supplicié, [avant-propos Maurice Olender], Paris, Seuil, coll. « La librairie du xxie siècle », 2013, p. 43 tout particulièrement.

69 Anne Monjaret, « Jour de fête pour les midinettes. L’envers de la Sainte-Catherine : les normes derrière la dérision festive », Modes pratiques, n° 1, 2015, p. 73, https://doi.org/10.54390/modespratiques.95. Mis en ligne le 07/03/2022. URL : https://devisu.inha.fr/modespratiques/95. Consulté le 18/06/2023.

70 Daniel Fabre, L’invisible initiation, Paris, éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, coll. « Audiographie », 2019.

71 Ibid., p. 70.

72 Ibid., p. 88.

73 Philippe Walter (Philippe Walter, Ma mère l’Oie. Mythologie et folklore dans les contes de fées, Paris, Imago, 2017, p. 139), évoque la construction des nids par les oiseaux comme un élément de l’étiologie des techniques de tissage.

74 E. Gaudry, M. Risselin-Steenberugen, M. Pirazzoli, M. Paul-David, 1968, article « Tissus d’Art » in Encyclopædia Universalis, vol. 16, Paris, Encyclopædia Universalis, p. 126.

75 Citation extraite d’un site internet : https://topbible.topchretien.com/dictionnaire/broderie/.

76 Mihaela Bacou, Brunhilde Biebuyck (Mihaela Bacou, Brunhilde Biebuyck, « Editorial », Cahiers de littérature orale n° 19, « Paroles tissées…Paroles sculptées », 1986, p. 9) présentent un ensemble d’articles relatifs à la diversité des usages du tissu décoré qui « s’ancre dans la vie quotidienne pour nous parler de ses composantes principales, les rapports entre les êtres, la nourriture ou les rêves projetés sur les trames de l’imaginaire ».

77 Claude Lévi-Strauss, Nous sommes tous des cannibales. Précédé de Le père Noël supplicié, op. cit., p. 131-144.

78 Claude Lévi-Strauss, op. cit., p. 131.

79 Ibid., p. 132.

80 J.R. Walker in Claude Lévi-Strauss, op. cit., p. 132.

81 Franz Boas, L’art primitif, [trad. Catherine Fraixe et Manuel Benguigui, présentation Marie Mauzé], Paris, Adam Biro, coll. « Anthropologie, Arts et Esthétiques », 2003 [1re éd. en anglais 1927], p. 75.

82 Franz Boas, op. cit., p. 386.

83 Claude Lévi-Strauss, Regarder, écouter, lire, Paris, Plon, 1993, p. 156.

84 Vassily Kandinsky, Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, [trad. Nicole Debrand et Bernadette du Crest, préf. Philippe Sers], Paris, Denoël, coll. « Folio/essais », 1954, [éd. pour la traduction française, 1989].

85 Ibid., p. 52.

86 Norbert Dufourcq (dir.), Larousse de la musique, t. 1, Paris, Librairie Larousse, 1957, article « Broderie », p. 133.

87 Encyclopédie en ligne Wikipedia, article, « Broderie (musique) », https://fr.wikipedia.org/wiki/broderie_(musique).

88 Stéphane Mallarmé, Poésies, [préf. Jean-Paul Sartre], Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1945 [éd., 1952 pour la préface], p. 102-103. Poème mis en musique en 1957 par Pierre Boulez dans Pli selon pli (improvisation II). Le terme « improvisation » fait référence à une certaine liberté d’interprétation musicale des poèmes.

89 Le mot « fenestrière » est utilisé par Yvonne Verdier au sujet de la couturière comme le rappelle Claude Gaignebet : Claude Gaignebet, « La “Sanglance”. Conversation avec Yvonne Verdier », Ethnologie française, n° 4, t. 21, « Apprentissages : hommages à Yvonne Verdier », 1991, p. 440.

90 Homère in Porphyre, L’antre des nymphes dans l’Odyssée, [Traduit du grec par Yann Le Lay d’après le texte nouvellement établi par le séminaire « classics » de l’université de Buffalo et à partir de la traduction originale de Pierre Quillard, édition bilingue], Lagrasse, Verdier, 1989, p. 73. On pourra noter la référence à la « pourpre » que nous avions signalée au sujet de Marie au Temple. La « pourpre de mer », obtenue à partir du Murex (un coquillage), est, comme le rappelle Porphyre, obtenue avec le sang de ces animaux. Les nymphes tissent donc de la chair « avec le sang ».

91 Philippe Jaccottet, Cahier de verdure. Suivi de Après beaucoup d’années, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », « Les Pivoines », 1990, p. 105.

Citer cet article

Référence électronique

Jacques Lucciardi, « Broder, rêver, prier peut-être, du Moyen Âge à nos jours : une approche ethnologique », Motifs [En ligne], 7 | 2023, mis en ligne le 15 décembre 2023, consulté le 21 novembre 2024. URL : https://motifs.pergola-publications.fr/index.php?id=921 ; DOI : https://dx.doi.org/10.56078/motifs.921

Auteur

Jacques Lucciardi

Docteur en ethnologie

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