Introduction
La question de la norme pose évidemment celle de la déviation par rapport à ladite norme et implique de s’interroger sur ce que l’on considère comme « normal » ou « anormal ». Mais il faut déjà se demander qui énonce la norme et dans quel contexte.
Comme le rappelle Alain Rey, dans son Dictionnaire historique de la langue française, « normal » possède un double sens souvent confondu de « qui sert de modèle, de règle » et « qui a une grande fréquence, conforme à la moyenne ». On retrouve semble-t-il la même ambiguïté en anglais (les principaux synonymes donnés sont common, usual mais aussi orderly, regular) ainsi qu’en espagnol, dans le Diccionario de la Real Academia Española (Normal : 1. Se dit de ce qui se trouve dans son état naturel. 2. Qui sert de norme ou de règle. 3. Se dit de ce qui, par sa nature, forme ou taille, s’ajuste à certaines normes fixées d’avance1.)
Comme le rappelle aussi Benoît Quinquis2 dans son article : est « anormal » ce qui est contraire ou extérieur à la norma qui, en latin, désigne l’équerre et, par extension, la règle ou la loi ; est « anomal » ce qui constitue une ἀνωμαλία, une inégalité, donc une aspérité ou une irrégularité3 : l’anormalité peut donc être envisagée comme un écart par rapport à la norme qui, par conséquent, suppose déjà la connaissance de cette dernière pour être identifiée comme telle, tandis que l’anomalie se caractériserait par l’affranchissement de toute référence à la norme, voire par son ignorance pure et simple. La différence serait donc de nature plutôt que de degré, l’écart de l’anomalie par rapport à la norme n’étant pas nécessairement plus grand que celui de l’anormalité.
Pierre Livet distingue les normes sociales des normes morales :
Nous disposons de diverses théories des normes sociales. Elles seraient ce qui assure en général le lien social (Durkheim, mais aussi Simmel ou Mauss). Elles seraient la manifestation de l’esprit collectif (Descombes). Elles consisteraient en des règles partagées (Wittgenstein, Goffman). Elles assureraient des effets performatifs, par lesquels le langage fait quelque chose au lieu de simplement dire quelque chose (Searle). Elles seraient la manifestation contraignante de valeurs (Durkheim & Mauss), voire tiendraient à l’imposition de contraintes (pression de l’opinion voire police) qui forcent à avoir un comportement collectif. Elles résulteraient du savoir commun partagé d’une convention (Lewis). En fait il est assez aisé de voir que pour chacune de ces caractérisations des normes sociales, soit nous manquons d’un élément pour avoir affaire à une véritable norme sociale, soit au contraire quelque condition n’est pas nécessaire4.
David Jousset souligne, dans son article, que depuis sa mise en valeur dans la réflexion de Georges Canguilhem en histoire de la connaissance de la vie, la notion d’anomalie du vivant présente un écart entre le discours sur l’anormalité pathologique du positivisme et la valorisation, dans un certain héritage nietzschéen, d’une « normativité biologique ». Entre l’anormal et le normatif capable de nouvelles normes ou formes de vie se situe l’interstice de l’anomal : une singularité inclassable, hors typologie ; une excentricité imprévisible et ingouvernable ; une marginalité dans le discours savant aussi bien biologique que philosophique. Ce vivant que voici en tant qu’une vie accidentelle, faisant irruption dans le cours de la vie générale. L’enjeu est, toujours selon David Jousset, de penser ces vies anomales comme dérangement de l’ordre du discours nomothétique comme conceptuel.
Les adjectifs « normal », « anormal » et « anomal » nous entraînent dans le domaine de la catégorisation et de la classification mais aussi de la valeur. Sur le plan esthétique et littéraire, la notion de norme a-t-elle un sens ? Peut-on définir le normal et l’anormal ? peut-on poser une simple équivalence entre l’anormal et l’exceptionnel ? L’adjectif « anomal » nous fait glisser de manière intéressante vers la question de l’exception, de l’irrégulier, de l’inédit, de ce que l’on ne peut précisément pas classer. L’« anomalie », comme l’« anormalité », sont des catégories productives dans la mesure où elles déplacent les repères, interrogent, perturbent et brouillent les représentations.
L’encyclopédie du transhumanisme et du posthumanisme précise :
L’anomal présente un caractère aberrant par rapport à un type ou une règle. À la différence d’anormal qui désigne ce qui est non conforme aux règles ou lois reconnues. La distinction entre anomal et anormal, c’est la différence de degrés entre aberration et absence de conformité. L’anomal, terme descriptif, désignerait un fait tandis qu’anormal, terme appréciatif et normatif, se réfère à une valeur5.
Dans Mille Plateaux, Gilles Deleuze et Félix Guattari expliquent :
On a pu remarquer que le mot « anomal », adjectif tombé en désuétude, avait une origine très différente de « anormal » : a-normal, adjectif latin sans substantif, qualifie ce qui n’a pas de règle ou ce qui contredit la règle, tandis que « an-omalie », substantif grec qui a perdu son adjectif, désigne l’inégal, le rugueux, l’aspérité, la pointe de déterritorialisation. L’anormal ne peut se définir qu’en fonction de caractères, spécifiques ou génériques ; mais l’anomal est une position ou un ensemble de positions par rapport à une multiplicité. […] C’est un phénomène, mais un phénomène de bordure6.
Pour Deleuze et Guattari, la grande révolution de la pensée postmoderne par rapport à la modernité consiste à considérer le schizophrène non plus comme le symptôme inquiétant du dysfonctionnement du monde mais comme un élément positif de résistance à la normalisation. Plus précisément, Deleuze oppose le « schizo » au schizophrène autistisé par la médecine et la société. Rappelons-nous que le schizo « […] ne cesse de migrer, d’errer, de trébucher […] Il brouille tous les codes, et porte les flux décodés du désir. Le réel flue7 ».
Pour la comparatiste Isabelle Durand, ces notions posent aussi des questions stylistiques (texte et image) et esthétiques, notamment celle de la conformité (ou non) avec un modèle existant, d’où la question des réécritures, des parodies, des caricatures qui vont s’inscrire dans le champ du normal ou de l’anormal. Éminemment transversales, elles soulèvent aussi des questions éthiques et philosophiques. La question de la réception est également essentielle : la notion d’horizon d’attente (Jauss) peut rejoindre celle de norme que l’œuvre peut conforter ou au contraire perturber.
Le présent dossier est né du projet d’organiser une journée d’étude finalisant les travaux (2017-2021) de l’axe 2 « Normes » (codirigé par Isabelle Durand pour l’UBS et Lionel Souquet pour l’UBO) du laboratoire HCTI. L’événement scientifique intitulé Normal, anormal, anomal (comité scientifique : Isabelle Durand, Elizabeth Mullen, Marie-Cécile Schang-Norbelly et Lionel Souquet), réunissant huit communications dont celles de quatre doctorants de l’UBO, s’est donc tenu le vendredi 16 octobre 2020, à la faculté Victor Segalen, à Brest. D’autres chercheurs de différentes universités ont ensuite rejoint le projet qui nous a permis d’élaborer ce numéro, réunissant quinze textes de quatorze auteurs différents. L’idée de départ était de réaliser un travail interdisciplinaire reflétant le plus justement possible la multiplicité des approches d’HCTI et de faire réfléchir ensemble de jeunes spécialistes – dont la réflexion est aussi rigoureuse que stimulante – et des chercheurs confirmés. La concrétisation de ce numéro aurait été impossible sans le soutien indéfectible d’Alain Kerhervé, directeur du laboratoire HCTI et de Catherine Conan, directrice de la revue Motifs. Qu’ils en soient ici remerciés, ainsi que tous les contributeurs.
Ce numéro est divisé en quatre parties : I. Philosophie, histoire, sociologie (regroupant les contributions des philosophes Benoît Quinquis et David Jousset, des sociologues Jean-Manuel De Queiroz et Luis Hernán Santarsiero et de l’historien Sylvain Villaret) ; II. Littérature (avec le comparatiste Romain Frezzato, les anglicistes Raphaël Haudidier, Stanislas Derrien et Anthony Remy ainsi que l’hispaniste Andrés Cobo de Guzmán Medina) ; III. Image (l’angliciste Raphaël Rigal, la latino-américaniste Fátima Rodríguez et l’hispaniste Lionel Souquet) ; IV. À la croisée des chemins (Marie-Cécile Schang-Norbelly, spécialiste du théâtre français du xviiie siècle et Lionel Souquet). Comme nous le verrons dans la présentation qui suit, cette organisation aurait pu être tout autre car, malgré la variété des sujets traités, la plupart des contributions se répondent mutuellement, dans une logique bien plus rhizomatique qu’arborescente. Chaque texte peut se lire comme un « plateau », au sens des Mille plateaux de Deleuze et Guattari, contribuant à la définition ou, plus exactement, à la compréhension de la notion de norme.
L’article du philosophe Benoît Quinquis, « Le cas Socrate ou l’anomalie logique », est consacré à l’examen du « cas Socrate », qui a fait couler beaucoup d’encre dans l’histoire de la philosophie et les études helléniques, au point qu’on puisse avec curiosité se demander ce qui va être apporté de neuf à ce dossier déjà surchargé. On ne sera pas déçu. L’auteur en effet ne s’attaque ni à un point de détail, ni à l’étude érudite de l’un des Dialogues, mais à une question tout bonnement centrale : comment définir le personnage de Socrate ? Où donc se situe sa singularité ?
La réponse de Benoît Quinquis se construit dans la confrontation et la distinction de deux concepts – l’« anormal » et l’« anomal » : l’anormalité se dit d’un écart à la norme, et spécialement des normes les plus formelles, celles de la loi ; l’anomalie relève d’un autre champ d’expérience, celle d’une aspérité, d’une bizarrerie dans la matière ou dans une situation. On pourrait bien parler d’« irrégularité », mais non au sens du « sans foi ni loi », de l’« irrégulier », du transgresseur des règles – autant dire du « délinquant », mais d’une étrangeté déconcertante et même « inquiétante » (sans rapport avec celle pointée par Freud), au point d’entraîner une condamnation à mort. Il ne s’agit dans la conduite et les propos de Socrate ni de s’opposer aux lois, ni de les critiquer, c’est-à-dire d’un anti-conformisme systématique, mais plutôt d’une indifférence à l’égard d’usages si établis qu’ils « vont de soi ». Cette curieuse et troublante ignorance d’évidences partagées par ses contemporains, sera explicitée dans l’examen serré des trois domaines où elle se manifeste : celui de l’élégance et du poids du paraître, celui d’un enseignement maïeutique s’écartant des règles de la rhétorique des sophistes, celui de l’hédonisme, d’une vie de plaisirs dont se montre si friande la jeunesse dorée d’Athènes. Voilà pour la structure et le mouvement du texte qui, posant l’hypothèse d’un Socrate « anomal », la vérifie et la précise sous ces trois aspects.
La démonstration est aussi fine que précise. Prenons l’exemple de l’élégance vestimentaire. On sait que Socrate était laid et qu’il ne se souciait guère de le maquiller, qu’il marchait pieds nus et vêtu sans recherche. Benoît Quinquis repère, dans quelques lignes du Banquet, une remarque anodine à la vue d’un Socrate chaussé de sandales, peigné et baigné de frais, à qui l’on demande où il se rend, ainsi mis sur un inhabituel « trente et un », d’où l’on peut déduire que cet étonnement vient d’un contraste inattendu avec l’aspect d’ordinaire plutôt négligé du Maître. Étonnement d’une indifférence au paraître (on dirait aujourd’hui à la « marque ») non systématique ; étonnement de la manifestation d’un rapport libre et « pragmatique » aux apparences. Concernant les plaisirs de même, car l’ascétisme socratique s’autorise à « parler vert et à boire sec » ; ou de faire un enfant à un âge avancé. Bref, c’est quasi « malgré lui » qu’il dénonce le poids du paraître, la morale hédoniste et l’enseignement des artifices rhétoriques. Il s’agit non de rejet, mais simplement d’éviter que les circonstance matérielles et physiques extérieures n’empêchent l’âme de se tourner vers le Bien (métanonoïa). Bref, une éthique de modération plus que de macération monastique.
L’analyse de Benoît Quinquis est d’une remarquable clarté et donne au lecteur tous les éléments permettant d’entrer dans une vraie intelligibilité du texte platonicien. Il nous offre d’abord une véritable contextualisation socio-politique. Ainsi, on nous précisera qu’Anaxagore, Protagoras et Melos, ont eux aussi été mis en accusation, mais qu’il ne s’agissait pas de citoyens grecs, et que leur châtiment fut non la mort mais l’exil. Ce détail permet de saisir la particularité du procès de Socrate et de la peine prononcée. L’auteur nous indique d’ailleurs que les mots du dialogue ne trouvent leur sens que rapportés au contexte qui les voit naître : mise en perspective productrice de lumière. De même, l’attention portée à la traduction (dont l’auteur nous informe qu’elle est personnelle). Prenons le terme d’« insolent » choisi par Léon Robin pour traduire la « démesure » (Ubris) attribuée à Socrate. Acceptable certes, mais aucun mot n’ayant son décalque exact quand il passe dans une autre langue, il ne permet pas, vingt-cinq siècles plus tard, d’évoquer avec justesse ce qu’un grec de l’époque a dans la tête quand il le prononce. Or si le péché de démesure est à leurs yeux si grave, c’est que son auteur s’arroge la place des dieux et donne prise à ce qui justifiera la peine capitale : l’impiété.
Concernant la maïeutique de Socrate, Benoît Quinquis souligne que : « […] les sophistes ont des auditeurs, Socrate n’a que des interlocuteurs… il enseigne moins une vérité qu’il n’apprend à chercher la vérité […] » et n’a à proposer que des « questionnements » (remarquons que cette ignorance de toute visée pratique a en effet de quoi paraître « étrange » au citoyen athénien de ce ve siècle ; il ne serait sans doute pas inutile que le « constructivisme » des pédagogues d’aujourd’hui se confronte à celui de Socrate pour qui l’enseignement ne consiste certes pas à déverser le savoir du maître dans la cervelle passive de l’enfant ou du jeune homme).
Le texte de Benoît Quinquis est un véritable aiguillon car il donne envie de le confronter à la lecture lacanienne du Banquet et à sa construction du concept d’agalma. Ou encore d’en comparer les résultats avec une autre clef (d’inspiration plus foucaldienne) où la singularité socratique serait de l’ordre d’une traversée oblique du damier orthogonal des normes régnantes, chacun devant pouvoir être « casé » dans sa case. À quoi un Socrate a-topos oppose son « atopie », savoir : être inclassable, illocalisable, sans place clairement assignable.
Le titre de la contribution du philosophe David Jousset, « Aux rebords de la vie : des vies anomales entre littérature et philosophie » semble banalement pointer vers la recommandation première du fondateur de la sociologie Émile Durkheim : toute recherche rigoureuse doit commencer par définir son objet sauf à tomber dans la confusion. Définir donc (et Durkheim admet volontiers que cette précaution méthodologique est toute provisoire) ce qu’on entend par « anomal ». Or, si les « anomalies » peuvent faire l’objet d’une enquête positive (et entrer dès lors dans le cadre d’une logique propositionnelle, assertive), l’« anomal » lui, résiste à cette « mise en ordre » dans l’« ordre du discours », qu’il s’agisse de logique scientifique ou de conceptualisation philosophique. Comment donc saisir l’insaisissable ? L’effort de ce texte (l’hypothèse), sera donc tendu vers la recherche d’une définition échappant à toute catégorisation, à toute réduction de l’anomal à l’anormal. Êtres de bordure, les vivants anomaux sont pourtant repérables dans l’interstice de la littérature et de certaines philosophies. Tel est l’enjeu. Mais qui se complique de la question proprement politique d’une « fraternité » possible ou non de ces vies anomales. Y a-t-il une voie de passage entre ces singularités individuelles et une multiplicité dont l’une des caractéristiques (pour Deleuze en tout cas), serait de croître par les bords) ?
Il est impossible de résumer ce cheminement complexe. Comme autant de poteaux indicateurs, nous nous contenterons d’en signaler les jalons. Le grand Canguilhem (« Normal et pathologique », 1943), la troisième Critique de Kant sur le jugement de goût et sa définition du génie, Deleuze et le couple Outsider/Original, l’anomal comme « exceptionnel » d’Agamben (à quoi David Jousset oppose le régime des « vies ordinaires »), Rancière enfin, décisif : c’est lui qui permet de réintroduire la dimension politique de ces êtres de la marge, sans propriété aucune, et conduit, in fine l’auteur à proposer la littérature comme pratique anomale « déjouant la règle », « signature de sa libre expression, de son irréductibilité […] à tous les fonctionnements normalisés de la langue ». Si l’anomalie est l’objet déroutant d’une science positive, l’anomal apparaît comme le concept d’une vie créative. L’enjeu de la contribution de David Jousset, que nous avons déjà cité au début de cette introduction, est d’étudier ces étranges figures de la pensée de la vie qui échappent aux logiques scientifiques comme aux rationalités discursives de la philosophie. Tel le cachalot Moby-Dick ou le scribe Bartleby, l’anomal provoque le questionnement : est-il l’être d’exception ou l’exclu de tout discours ? Le génial ou le monstrueux ? Un échec asocial ou l’essai d’une société à venir ? La conceptualisation de Deleuze a profondément renouvelé ce concept d’anomal par la double thématisation de l’Outsider et de l’Original dans une interprétation profonde de la vocation politique de la littérature de langue anglaise. Mais peut-il y avoir une fraternité des vies anomales ? Quel rapport peut-on tisser entre l’espace littéraire et l’espace politique ? La pensée politique de Jacques Rancière, souligne aussi David Jousset, propose une corrélation entre l’être sans propriété de la littérature et la condition des « inadmissibles », mais comment recueillir et écrire ces existences aux rebords de la vie sans les fondre dans l’impersonnel des masses ou l’apersonnel des flux du vivant ?
Que la question des normes dans une société soit affaire de littérature ou d’autres œuvres expressives – un film, une chanson, un tableau, nul n’en doute. Les romans, les récits, les poèmes, les opéras nous donnent à voir et à sentir la vie multiple et conflictuelle de ces créatures étranges qui ont le pouvoir de tracer la frontière entre conduites « normales » et celles qui y dérogent. Mais ces œuvres – précise Jean-Manuel De Queiroz – détiennent aussi le pouvoir de nous faire sentir ce qui ne peut qu’être senti. C’est ce pouvoir particulier qui définit un art. Les artistes sont les ouvriers de tout ce qui peut défier l’intelligibilité des logiques purement rationnelles. Quant à la sociologie (et les sciences sociales en général), son affaire est avant tout de dénombrement et de classification. Elle catégorise. Si les formes de création expressives – les arts, font émerger une catégorie d’action échappant à la dichotomie normal/anormal (ou « pathologique » ou « déviant ») au profit d’un « anomal », il n’en va pas de même pour les sciences sociales. En examinant le cas de l’œuvre de Michel de Certeau, dans « Les sciences sociales aux prises avec l’“anomal” » le sociologue Jean-Manuel De Queiroz montre sous quelles conditions et par quels moyens, une « sociologie de la vie quotidienne » et ses pratiques les plus ordinaires, peuvent donner à voir et à sentir les « anomalies » de résistance aux pouvoirs : les arts de faire. Prétendre, comme Durkheim, que le crime, ou plus précisément, qu’un certain taux de crime, constitue, pour chaque société, un « fait social normal », dont s’écartent les formes pathologiques, c’est opérer par rapport aux morales dominantes, une véritable révolution : il n’existe donc pas de morale absolue, mais seulement des morales, toutes relatives à un certain état des sociétés. Mêlant – comme dans tous ses écrits – érudition, finesse d’analyse et verve, Jean-Manuel De Queiroz nous montre comment, dans son rapport aux institutions, le chercheur du quotidien oppose au productivisme académique une économie de l’échange et du don, dont les anthropologues ont démontré la persistance autant dans les sociétés anciennes que modernes.
L’historien spécialiste du corps, du sport et de l’éducation physique Sylvain Villaret propose un article intitulé « Naturisme et éducation sexuelle entre les deux guerres : un exemple de lutte pour l’instauration de normes nouvelles ». À partir d’un corpus fondé sur les principales publications naturistes de l’entre-deux-guerres, l’historien s’interroge sur les nouvelles normes, en particulier corporelles, sexuelles, que les naturistes défendent et sur la manière dont elles ont été construites et expérimentées. Se pose également la question de la diffusion de ces normes. Quelles ont été les voies privilégiées pour ce faire, les stratégies mises en œuvre ? Se pose, de même, la question de la réception et de la légitimation.
Le désir de retour à la nature et, plus encore, le mythe du retour à la nature, plongent leurs racines dans les bouleversements qui accompagnent la modernité. Avec l’entre-deux-guerres, le naturisme s’affirme en France en tant que culture alternative, voire en tant que contre-culture. On oppose alors le naturel, incarnant la normalité, à la norme de l’anormalité qui s’est imposée au fil du temps. Fondé sur un retour à la nature faisant une place notable à la nudité, le naturisme se structure au travers d’une dynamique de contestation des normes : normes médicales, normes corporelles mais aussi codes sociaux. Ses principaux protagonistes promeuvent en effet une réforme des modes de vie censée sauver l’humanité et éviter, notamment, la réédition d’une nouvelle Grande Guerre. Ce projet réformiste nourrit une réflexion sur l’intérêt d’une éducation sexuelle dans nombre de mouvements naturistes. Sylvain Villaret analyse la déconstruction des normes qu’opèrent les naturistes et montre comment s’y intègrent les propositions en matière d’éducation sexuelle : celle-ci constitue, au sein de certains courants naturistes, le socle d’une émancipation des normes héritées de la morale chrétienne ; le naturisme sert de fer de lance à une attaque en règle de l’Église et de son influence sur la société française. Nous apprécierons aussi la contribution des leaders du naturisme français à la sexologie naissante. Il s’agit pour eux de déconstruire les normes en vigueur et de réformer la société en profondeur en éduquant à une norme naturelle. Pour atteindre cet objectif, il faut nécessairement créer les conditions pour que s’opère une prise de conscience chez l’individu du fourvoiement de la société à laquelle il participe. On comprend dès lors l’importance centrale accordée à l’éducation, tant dans les publications qu’au sein des structures naturistes, et cette éducation passe d’abord par la déconstruction critique des codes sociaux jugés jusqu’à présent légitimes. Le changement individuel est la condition nécessaire au changement social, collectif.
C’est en cherchant du sens à une existence et une société devenue illisible que l’on redécouvre la nature, que la nature se confond avec la norme. La nature devient ainsi un mythe, une contre-société jamais prise en défaut et qui légitime l’émancipation vis-à-vis des contrôles sociaux, de la loi. De fait, entre les deux guerres, le naturisme est défini avant tout comme une éducation intégrale, seul moyen de renouer avec des normes naturelles, de faire correspondre lois sociales et lois de la nature. Mais les choses ne vont pas se faire facilement. Sylvain Villaret rappelle que les procès, les condamnations, interdiction et diatribes par voie de presse, scandent ces années. L’historien montre aussi que ce mouvement a été porté, tout à la fois, par des libertaires et des réactionnaires. Les dissensions idéologiques et les divergences de points de vue sur la question sexuelle ont fini par affaiblir le mouvement.
Quittons la nature pour la ville. Le philosophe et anthropologue argentin Néstor García Canclini pense les villes contemporaines comme des mégalopoles constituées non seulement d’espaces matériels mais aussi d’espaces symboliques et imaginaires en relation avec les origines multiculturelles de leurs habitants. Ces espaces symboliques répondent donc à des normes qui peuvent différer en fonction des différentes communautés qui peuplent la ville. Avant de tenter de répondre à la question ; « qu’est-ce qu’une ville », Canclini passe en revue les différentes approches anthropologiques : on a d’abord opposé la ville à la ruralité mais cette conception se heurte aux nombreux phénomènes d’interpénétration de ces deux espaces. Les critères géo-spatiaux, quant à eux, ne tiennent pas compte des processus historiques et sociaux. Les critères spécifiquement économiques sont également opérationnels mais laissent de côté les aspects idéologiques. D’autres auteurs pensent que deux caractéristiques – l’intensité des interactions et l’accélération des échanges de messages – permettent de définir la ville à partir de l’expérience de l’habitat. Les sociétés urbaines peuvent aussi être appréhendées comme un langage :
Les villes ne sont pas seulement un phénomène physique, une façon d’occuper l’espace, de s’agglomérer, ce sont aussi des lieux où se produisent des phénomènes expressifs qui entrent en tension avec la rationalisation, avec les prétentions de rationaliser la vie sociale8
Mais, pour Canclini, toutes ces théories sont insuffisantes. Il ne s’agit plus de chercher la spécificité de la culture urbaine par rapport à la culture rurale mais de s’intéresser à la multiculturalité de l’espace urbain. En fait, dans une même ville, il en existe souvent plusieurs : le centre historique, bien sûr, mais aussi la ville industrielle qui déterritorialise l’urbain. Un troisième type de ville, propre à la modernité et à la postmodernité, s’est développé : c’est la ville informationnelle et communicationnelle, celle du câble, du fax, des satellites et d’internet. Mais toute cette modernité, cette extraordinaire offre culturelle internationale se heurte souvent, en Amérique latine, aux limites du développement et des infrastructures (vétusté ou désorganisation des voies de communication, pannes d’électricité, etc.) ce qui, selon Canclini, donne à ces villes l’aspect d’un vidéoclip contradictoire et chaotique : la ville latino-américaine vit dans une tension constante entre des traditions « de quartier » bien ancrées, qui génèrent un certain type de fonctionnement et de communication urbaine généralement très normés, et une modernité, certes précaire mais réelle, qui inscrit ces villes dans la postmodernité et laisse des espaces, parfois simplement interstitiels (de Certeau), où peuvent se développer des modes de vie moins normés. La ville vidéoclip est une ville qui fait coexister à un rythme accéléré un montage effervescent de cultures de différentes époques. Comme le disait Jean-Manuel de Queiroz, certaines fictions mettent en évidence la violence du contraste entre une culture traditionnelle et passéiste face à une pratique « libre » de la ville comme espace de tous les possibles, apparemment émancipée des conventions normatives, sans limites.
Comme le rappelle Ana Claudia Correa Díaz9, en Argentine, en Uruguay et au Chili l’urbanisation a commencé très tôt, dès les années 1920 et 1930. Dans certains pays comme l’Argentine, le Brésil, le Chili, le Mexique, le Pérou, l’Uruguay et le Venezuela, l’urbanisation est supérieure à 70 % et, selon les études des Nations Unies réalisées en 2001, la population de la ville informelle représenterait 35,5 % des urbains10. María E. Longo montre aussi qu’en Argentine, comme dans toute l’Amérique latine, les structures informelles11 sont monnaie courante. Selon Correa Díaz :
[N]i le secteur formel ni le secteur informel n’ont des caractéristiques exclusives, ce qui rend difficile leur identification et leur nette différenciation. [...] L’informalité [emploi, logement, transport] est un symptôme de la faiblesse des États et du manque d’offre dans le secteur formel12.
En Argentine, le problème alimentaire des foyers pauvres occupe depuis bien longtemps une place centrale dans les politiques de l’État. La « normalité » serait, au sein d’une société qui produit et exporte des aliments (notamment de la viande et des céréales) dans le monde entier, le plein accès à la nourriture pour ses propres habitants. Cette situation d’(a)normalité, observée au quotidien, est un sujet de préoccupation de la politique de l’État depuis des années. C’est aussi un problème dans les quartiers pauvres où l’aide alimentaire est organisée dans des cantines communautaires, jour après jour, sous la coordination de différentes organisations politiques, sociales, religieuses et étatiques qui fournissent un cadre territorial et politique impossible à ignorer. L’article du sociologue argentin Luis Santarsiero, « Le (dés)ordre alimentaire et l’ordre du quartier : cantines communautaires, quartiers et assistance alimentaire en Argentine », se propose d’étudier l’aide alimentaire fournie dans les cantines communautaires (soupes populaires), en Argentine, en analysant la vie quotidienne et l’alimentation collective dans des situations de vulnérabilité sociale. L’auteur émet l’hypothèse selon laquelle ces espaces seraient des tentatives de normalisation face au (dés)ordre alimentaire. C’est dans cette optique que les perceptions des responsables des cantines, en tant que médiateurs de différents contextes et scénarios d’aide alimentaire, sont analysées. L’article est une étude de cas – menée par l’auteur lui-même – d’un quartier défavorisé de la ville argentine de La Plata, rendant possible certaines généralisations sur l’intervention alimentaire. Le quartier se constitue par rapport aux cantines comme un lieu support de la vie quotidienne et des liens politiques et sociaux qui établissent un « ordre » possible au sein de cet espace informel. Ces dimensions (voisinage, sociabilité et aide alimentaire) ont été intégrées dans les observations et les visites du quartier, établissant les zones d’influence et d’extension de chaque cantine. La dimension de la spatialité est ainsi récupérée comme la possibilité de consolider un ordre alimentaire de quartier déployé et représenté par les cantines et leurs gestionnaires. Luis Santarsiero montre donc que les cantines révèlent un zonage assez strict, presque un quadrillage, et donc une forme de normalisation de ces quartiers informels : les limites, les espaces communs et les centralités où se déroule l’intervention alimentaire vont au-delà des espaces physiques où la nourriture est distribuée ou les familles nourries. En ce sens, la spatialité du quartier se configure à travers l’institutionnalisation de ces espaces, qui commencent par être informels et auto-organisés et qui, au fil du temps, étendent la gestion de différents capitaux politiques et sociaux, établissant des réseaux et des références d’assistance pour les habitants.
Bien que les contextes (le naturisme et les loisirs en France, entre les deux guerres, et les stratégies de survie dans les quartiers défavorisés de l’Argentine de ce début de xxie siècle) soient radicalement opposés, la comparaison entre le texte de Sylvain Villaret et celui de Luis Santarsiero est intéressante : dans les deux cas, loisirs ou précarité, la dimension politique est essentielle (le naturisme comme l’aide alimentaire représentent un enjeu essentiel pour certains partis), le champ d’action dépasse largement l’objectif initial et les acteurs en présence ont l’ambition de réformer la société et d’en modifier les normes.
Nous entrons, avec le texte du comparatiste Romain Frezzato intitulé « Jean Genet : une anomalie littéraire. Éloge des anormaux dans Notre-Dame-des-Fleurs (1943) », dans le domaine des subjectivités littéraires. « L’anomalie littéraire résiste à la pertinence, à la mise en sens », soulignait d’ailleurs, un peu plus haut, David Jousset. Bien que l’œuvre de Genet ait une forte dimension autobiographie, voire autofictionnelle, ses personnages sont bel et bien fictionnels. Pourtant, le travesti Divine n’est peut-être pas si éloigné du « cas Socrate » que nous décrivait Benoît Quinquis. Nous avons vu avec ce dernier qu’il ne s’agissait dans la conduite et les propos de Socrate ni de s’opposer aux lois, ni de les critiquer, c’est-à-dire d’un anti-conformisme systématique, mais plutôt d’une indifférence à l’élégance et au paraître, d’un enseignement maïeutique s’écartant des règles de la rhétorique des sophistes et, enfin, d’un rejet de l’hédonisme. Ces trois aspects vérifient l’hypothèse d’un Socrate « anomal » dont l’étrangeté déconcerte et « inquiète » même. C’est peut-être ici que les personnages de Genet rejoignent la figure de Socrate, comme s’ils en étaient l’envers parfait : le travesti Divine, dans Notre-Dame-des-Fleurs, accorde au contraire une importance extrême au paraître, mais dans un déni complet des normes sociales. Romain Frezzato souligne qu’« être femme, c’est être en représentation ». Le travesti n’est que représentation, que paraître. Mais cette surenchère a la même puissance subversive que l’indifférence socratique au paraître. Socrate méprise l’hédonisme des jeunes athéniens les plus privilégiés, Divine, et Genet lui-même, méprisent les normes et le mode de vie bourgeois. Comme le souligne Romain Frezzato, Divine porte sur elle avec fierté les stigmates du « vulgaire ». Les personnages de Genet sont issus des classes populaires, voire des classes les plus pauvres. Ce choix relève d’une vision politique du travesti. L’ancrage de ces personnages dans le lumpenprolétariat invite même à en considérer la dimension néo-picaresque, idée confirmée par l’importance du corps, de l’anus et de la scatologie dans leur rapport à l’écriture. Dans Le pèse-nerfs, Antonin Artaud affirme : « Toute l’écriture est de la cochonnerie. Les gens qui sortent du vague pour essayer de préciser quoi que ce soit de ce qui se passe dans leur pensée, sont des cochons. » Genet est le chantre de l’« irrégulier », du transgresseur des règles, du « délinquant » et ses personnages sont d’une étrangeté si déconcertante et « inquiétante » qu’ils se voient condamnés par la société. S’intéresser au travesti c’est aussi s’intéresser à ses effets sur le monde social. Romain Frezzato questionne la dimension politique du travesti comme menace pour l’ordre hégémonique. Il considère que « le travestissement romanesque relève très systématiquement de la dissidence sociale et politique et, ce, quelle qu’ait été la motivation originelle du travestissement. » Si l’homme consent à « faire la femme », le maître peut se retrouver sous l’empire du domestique, et par extension tout pouvoir peut être « renversé ».
Si la norme sociale semble absente de l’univers romanesque de Jean Genet, celui-ci ne se cache pas d’avoir voulu, avec Notre-Dame-des-Fleurs, son premier récit publié en 1943, s’adresser à « l’ennemi », soit aux représentants de la norme. Destiné au « vous » des « banquiers », des « concierges » ou des « agents de police », c’est un livre habité d’assassins, de souteneurs et de prostitués qui leur est donné à lire. À bien des égards, Genet se veut le chantre des anormaux. C’est d’autant plus évident que celui-ci, en se mettant en scène à l’intérieur du livre comme le récitant des aventures de héros paupérisés, en vient à brandir un éthos d’écrivain hors-la-loi en ceci qu’il apparaît incarcéré à Fresnes où ne le divertissent que des rêveries homoérotiques inspirées par ces criminels fictifs. De sa cellule, Genet fait non seulement figure d’anormal mais s’érige encore en anomalie littéraire par la production d’un roman proprement énorme dont la figure centrale du travesti Divine dit bien la volonté de contrevenir à toutes les lois qui régissent la France des années 1930 et 1940, celle, sociale, qui divise les hommes en classes et celle, phallique, qui les divise en sexes. Si bien que, dans un monde presque sans femme, l’auteur en vient à féminiser tous et tout dans un geste salutaire et utopique de dépassement des clivages mortifères et des identités restreintes.
Romain Frezzato le dit fort bien :
Un livre entier pourrait être consacré au rapport que Jean Genet entretient avec les notions d’anomalie et d’anormalité. Exhibant dès ses débuts un éthos de l’anormal autant que de l’anomal, le poète et romancier ne fait que réfléchir à la façon dont les individus se construisent une identité, une subjectivité, une langue, en dehors de toute norme. De sorte que l’art romanesque lui-même en vient à s’anormaliser, à se déconstruire.
Il est évidemment tentant de faire un saut dans notre table des matières pour rapprocher le travail de Romain Frezzato sur Genet de l’article de la latino-américaniste Fátima Rodríguez intitulé « José Agrippino De Paula, Hitler III Mundo », où la performance, le spectatoriel et le grotesque sont des instruments politiques contre la normativité. Le titre un peu énigmatique de l’article est vite explicité. L’auteure, en effet, nous y expose son dessein : comprendre le paradoxe d’un artiste brésilien, José Augusto Da Paula (1937-2007), qui fut à la fois le moins prolifique et néanmoins le plus ou un des plus influents de sa génération.
On peut énoncer ce paradoxe autrement, car tout un ensemble d’innovations formelles (un ensemble flou, ouvert, mouvant – multiple en un mot), se présente comme un défi répété à toute linéarité. En termes académiques : destruction de toute narrativité. En termes plus ordinaires : « ça fiche le bazar » dans les catégories mentales en « égarant » celles de la langue. Mais, paradoxalement aussi, cet illogisme généralisé détient sa propre logique, comme la sobriété de sa production s’est avérée très productive.
On nous fera entrer dans ce paradoxe vivant en trois temps : 1) une mise en contexte, 2) la présentation du film, 3) le temps d’une interprétation double.
Mise en contexte. 1967 est une date pivot dans l’histoire du Brésil. Après le putsch de 1964, Castelo Branco proclame une nouvelle Constitution qui établit une dictature féroce. Architecte de formation, Da Paula est porté par un groupe (« Sonda ») réunissant des écrivains, danseurs, cinéastes…), vecteur d’une diversité d’expérimentations (montages, performances, films…), qui s’engage dans une fragmentarité dont l’unité est une « déclinaison de l’hétéroclite » ; c’est l’époque où Hélio Oïticica invente les « parangoles », grandes capes bariolées subversives, et où l’un des deux romans rescapés de Da Paula sert de préambule à « Hitler et les Tiers-Monde ». En réaction est fondé le groupe Tropicalia qui va proclamer « l’urgence de l’état d’invention ». Tel est le fond social et politique sur lequel se détache le film Hitler III Mundo.
Fátima Rodríguez met ensuite le film sous les yeux du lecteur, alternant photogrammes et description des scènes.
Vient le moment de l’interprétation. Le film emprunte largement à la technique du cut-up inventée par Bryan Gysin (« des fragments aléatoires réorganisables, susceptibles de constituer un texte nouveau »), Raphaël Haudidier nous en reparlera à propos de William Bourroughs. Et, en effet, l’imagerie de Hitler III Mundo est hétéroclite et la bande son cacophonique. Corruption généralisée du langage :
Non seulement la norme linguistique, mais encore sa réalisation en discours, se voient dénaturées, travesties, subverties, faisant état d’une confusion et d’une corruption langagière généralisées. […] Ce flux d’images sans connexion apparente, induit une perte de narrativité filmique, mais non pas la logique du récit.
Quelle est donc la logique de cet illogisme ? Il faut pour y accéder révolutionner la notion de « norme » en l’envisageant dans la dialectique de trois niveaux : la relation entre normal et pathologique (le « normatif »), entre légal et illégal (formalité règlementaire), et les normes d’usage organisant le langage. Le film transgresse ce qui d’ordinaire définit l’anormal : un écart-type. Comme à travers un miroir déformant, il délivre une vision carnavalesque du monde, qui n’est pas sans rappeler celle que propose Genet. Ce miroir, forçant les traits ad absurdum, pourrait se réclamer du concept d’espertento de l’écrivain espagnol Valle Inclán. Fátima Rodríguez propose d’aller plus loin, introduisant à une dimension directement politique de l’œuvre : la nouvelle constitution est elle-même un cut-up. En se donnant comme objectif de préserver « la santé psycho-sociale » du peuple, le régime utilise dans son discours les valeurs mêmes qu’il persécute : « démocratie », « utopie révolutionnaire » etc… Par un glissement subreptice, le « normatif » devient « règlementaire ». C’est ce tour de passe-passe politique que l’œuvre nous met sous les yeux. Et qui permet de regarder ce film d’un autre œil (« Comment ne pas voir… »). Voir quoi ? Une « anamorphose burlesque », une « poétisation de l’extrême », ou, dans le samouraï soigneusement blanchi à la craie, une image de l’aryanisation, du « blanchiment » souhaité par la dictature.
De cet article à celui de Raphaël Haudidier intitulé « 1964-1965 : L’Annus Mirabilis de deux figures anomales, William S. Burroughs et Piero Heliczer » il n’y a qu’un pas. Dans une démarche comparative et s’appuyant sur la théorie deleuzienne, l’auteur se propose de souligner les points communs entre William S. Burroughs (auteur de Naked Lunch / Le Festin nu, 1959) et Piero Heliczer (incarnation de l’esprit mimeo), deux artistes aux trajectoires erratiques, deux figures « anomales » de la contreculture new-yorkaise des années 1960, période socialement cruciale et culturellement féconde aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Familiers des cafés et des scènes marginales de la ville, ils sont devenus des figures majeures de l’underground new yorkais. Partisans de la fusion des arts, ils y produisaient des œuvres expérimentales et révolutionnaires, et organisaient des événements artistiques, rebaptisés Rites of the Dreamweapon, dans lesquels se mêlaient poésie, projections d’images filmiques, et musiques de toutes origines, combinant ainsi divers stimuli visuels et sonores de nature à modifier la perception du réel chez le spectateur. Comme ces lieux ne ressemblaient à aucun autre espace communautaire existant, et allaient à l’encontre des règles de bienséance ou de rigueur bourgeoise qui caractérisaient la société américaine, ils devenaient des espaces détachés du réel quotidien dans lequel les codes étaient sans cesse renouvelés. Leur dimension bachique contrastait avec l’espace hyper-contrôlé de la Factory d’Andy Warhol :
Ainsi à la réalité convenue, normée, et factice que promouvaient la bourgeoisie et l’establishment de leur époque, Burroughs et Heliczer opposaient leur réalité sensible, certes modifiée par l’absorption de drogues, mais finalement aussi artificielle que celle présentée par les médias de masse.
Alors que l’éclectisme d’Heliczer évoque le caractère inclassable de l’anomalité, la nature diffuse, anarchique, rhizomatique même de ces événements rappelle également l’affirmation de Gilles Deleuze selon laquelle « tout ce qui s’est passé d’important procède par rhizome américain : beatnik, underground, bandes et gangs, poussées latérales successives en connexion immédiate avec le dehors13 ». Raphaël Haudidier considère que l’écriture disjointe et en apparence désordonnée des textes de cut-up permet de les considérer comme des applications du « corps-sans-organes » : absence de hiérarchie, de syntaxe, d’ordre, la page de cut-up offre aux lecteurs un ensemble de mots grouillants, qu’ils sont libres d’organiser comme ils le souhaitent. Grâce à une autre technique, Burroughs écrit trois trames narratives distinctes sur une même page, ce qui est une véritable attaque contre la littérature et une entreprise de révélation du réel.
Raphaël Haudidier montre aussi qu’Heliczer et Burroughs sont tous deux à cheval entre avant-garde et contre-culture, à la fois dans leurs pratiques, et dans la façon dont ils percevaient leur rôle. L’avant-garde se définit en effet contre ce qui l’a précédée tout en ayant pour volonté, assumée ou non, de proposer des formes artistiques nouvelles qui deviendraient la norme, tandis que la contre-culture s’élève contre des formes existantes, au motif qu’elles émanent d’une forme de pouvoir qu’elle vise à abolir : nous verrons d’ailleurs que le kitsch a longtemps été défini comme le contraire de l’avant-garde. En outre, comme le rappelle aussi Raphaël Haudidier, Peter Bürger explique en 1978, dans son ouvrage Theory of the Avant-Garde, que l’avant-garde constitue à la fois une attaque contre les institutions de l’art et une volonté de faire pénétrer l’art dans la vie quotidienne afin de la révolutionner. Burroughs et Heliczer se situaient effectivement à l’intersection de la contre-culture et de l’avant-garde, puisqu’ils expérimentaient avec des médiums différents dans le but de représenter leur environnement, tout en étant des initiateurs, des forces motrices qui essayaient de transformer leur quotidien grâce à leurs arts.
L’article de Raphaël Haudidier se penche donc sur la possibilité pour l’art de créer une réalité nouvelle, qui se substituerait au réel social et politique normé, et qui se développerait comme une « aberration », une manifestation « anomale », ou une « excroissance de la vie ». Le qualificatif « anomal » s’applique aussi à ces deux figures, dans leur posture contradictoire d’entraîneurs et d’outsiders, toujours à la frontière et en marge des milieux artistiques reconnus, ce qui a sans doute précipité leur déclin, Heliczer ayant été concurrencé par Warhol, et Burroughs délaissé par son public.
L’article de Stanislas Derrien, « “While humanlike they are not totally humanful” : Hybridité et normativité dans The Constant Rabbit de Jasper Fforde », porte sur le roman britannique de Jasper Fforde, publié très récemment (2020) et intitulé The Constant Rabbit, dont il analyse la teneur satirique et allégorique, et les enjeux politiques et idéologiques dans un Royaume Uni post-Brexit. Après une présentation très précise de l’auteur de fantasy érudite qu’est Jasper Fforde, coutumier d’une esthétique du décalage et de la défamiliarisation (au sens où l’entendait Victor Chklovski), le propos se tourne vers la question de la représentation problématique du réel, telle qu’abordée dans le roman de Fforde, puis celle du rapport conflictuel entre humanité et animalité, et enfin celle de la norme sociale et de l’anomalie : « l’apparition de lapins anthropomorphes […] remet en question les normes qui régissent une société anthropocentrée ». Les lapins du roman de Fforde incarneraient, selon Stanislas Derrien, les diverses projections de l’altérité, c’est-à-dire tout ce qui contrevient ou s’oppose aux normes sociales et morales. L’allégorie animalière de Fforde ouvre donc une possible réflexion sur le racisme et la xénophobie, la peur de l’autre et le repli identitaire.
Si le concept de défamiliarisation (ou « singularisation », « étrangisation » ou encore « ostranénie ») a d’abord été appliqué à la littérature russe (Tolstoï) puis au théâtre épique (Brecht), pour en venir à caractériser l’un des principaux mécanismes à l’œuvre dans toute production artistique, Stanislas Derrien propose d’en transposer les principes à la métafiction de Jasper Fforde :
Cette projection fluide de l’altérité qu’incarne le lapin dans The Constant Rabbit est propice à la spéculation. Dans la mesure où les figures d’autorité représentées dans le roman agissent de manière coercitive envers toute forme de marginalité, le lapin pourrait tout aussi bien renvoyer ici à l’étranger ou au migrant, à tout groupe ethnique ou religieux socialement minoritaire au Royaume-Uni, au « déviant » sexuel qui ne se conformerait pas à une culture mainstream (pléonasme) voire hétéronormée, ou tout simplement à l’animal « réel » dans une logique antispéciste. […] l’expression « léporiphobie », comme toute phobie caractérisant un être humain, évoque une peur active, à mi-chemin entre la crainte et la haine, de l’altérité : le lapin, objet de dégoût, devient alors source et objet d’abjection pour l’humain.
Nous pourrions évidemment rapprocher le travail de Stanislas Derrien sur Fforde de la thématique du « devenir-animal » chez Deleuze. Les spéculations autour de la figure du lapin et de ses liens avec les humains évoquent l’alliance contre la généalogie, la « communauté de destins », ce que Deleuze et Guattari appellent la propagation par épidémie :
Nous opposons l’épidémie à la filiation, la contagion à l’hérédité, le peuplement par contagion à la reproduction sexuée, à la production sexuelle. Les bandes, humaines et animales, prolifèrent avec les contagions, les épidémies, les champs de bataille et les catastrophes. C’est comme les hybrides, stériles eux-mêmes, nés d’une union sexuelle qui ne se reproduira pas, mais qui recommence chaque fois, gagnant autant de terrain. Les participations, les noces contre nature, sont la vraie nature qui traverse les règnes. La propagation par épidémie, par contagion, n’a rien à voir avec la filiation par hérédité, même si les deux thèmes se mélangent et ont besoin l’un de l’autre. Le vampire ne filiationne pas, il contagionne. La différence est que la contagion, l’épidémie met en jeu des termes tout à fait hétérogènes : par exemple un homme, un animal et une bactérie, un virus, une molécule, un micro-organisme14.
Anthony Remy propose une étude intitulée « La Recherche de la beauté dans la dénormalisation : une étude de Theories of Forgetting, de Lance Olsen (2014) ». Theories of Forgetting (2014), écrit par l’Américain Lance Olsen, est un roman expérimental et métafictionnel construit à partir de trois parcours narratifs familiaux et entrecroisés dont la thématique commune est la mémoire. L’article démontre comment l’écriture autobiographique de ces trois récits transgresse et transforme les codes littéraires pour déconstruire les normes identitaires, sociales et esthétiques, et atteindre une forme de beauté. L’instabilité des trois récits, dont la fiabilité narrative et la chronologie diégétique sont perturbées par l’état physique et mental de leurs locuteurs et narrateurs – perturbations qui se reflètent dans la typographie aléatoire, la mise en page labyrinthique et le collage de fragments textuels et visuels – est un premier défi lancé tant au genre autobiographique qu’au pacte de lecture. Les références explicites dans le récit à Spiral Jetty, l’œuvre de land art réalisée en 1970 par le sculpteur Robert Smithson, viennent ajouter au décentrement thématique et visuel.
L’article, d’une grande rigueur théorique et analytique, s’interroge sur les liens entre l’abolition de la temporalité et l’effacement de la mémoire d’une part, et les notions d’anormalité et d’anomalie applicables aux états psychiques des personnages d’autre part. Il interroge aussi la fécondité paradoxale de ces effacements, ainsi que le processus complexe d’« écriture – dés-écriture – réécriture » qu’engagent ces récits d’introspection, au plan de la production et de la réception. La subversion des normes a pour corollaire la mise en cause de la notion de fin, comme le montre clairement la Spiral Jetty, dont les ruines sont l’expression de l’« infinissable » (et du toujours à reconstruire) plutôt que de l’anéantissement définitif. L’article suggère alors que la beauté de toute œuvre d’art serait dans son perpétuel recommencement : « la tension dichotomique et créatrice entre l’éphémère et le pérenne, le souvenir et l’oubli, l’écriture et la dés-écriture ».
La dictature franquiste (1939-1975) fut non seulement politiquement répressive mais aussi particulièrement puritaine et pointilleuse en matière de mœurs et exerça un contrôle rigoureux sur la politique et la société espagnoles. Le « Nacionalcatolicismo » (« National-catholicisme ») est l’un des marqueurs identitaires de l’idéologie franquiste. La censure est particulièrement active dans le domaine culturel et le régime s’empare aussitôt du 7e art comme medium idéal de la propagande par les rêves. Malgré l’émergence, dans les années 1950 et 1960, d’un courant néoréaliste espagnol de qualité, où des réalisateurs talentueux parviennent plus ou moins à contourner la censure, assouplie en 1966, et à diffuser une sorte de critique subliminale du franquisme, c’est essentiellement un cinéma de divertissement, toujours conformiste, pudibond et lénifiant, que le régime promeut. Le cinéma franquiste « idéal » esthétise la dictature et la société espagnole (dont la réalité économique, jusqu’aux années 1950, est synonyme de misère et de famine puis, pendant encore de nombreuses années, de pauvreté et de privations, pour la grande majorité de la population) en développant particulièrement le film historique (plus exactement historiographique), où l’histoire est revisitée sur un mode épique et lyrique, et la comédie, généralement sentimentale, parfois légèrement grivoise, très souvent folklorique et musicale. Quel que soit le genre ou sous-genre exploité et la qualité de chaque réalisation (certains films, bien qu’idéologiquement discutables voire inacceptables, sont malgré tout de vraies réussites), le cinéma franquiste reste toujours un vecteur de transmission des normes idéologiques et sociales du régime.
Malgré l’émergence ou la confirmation de quelques réalisateurs extrêmement talentueux, la fin du franquisme (ou « Tardofranquisme », 1969-1975) voit surtout fleurir le « landismo », des comédies faciles à l’érotisme pudibond et toujours hétéronormatif alignant sans complexes les clichés les plus éculés sur « l’hispanité ». Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, la mort de Franco en 1975 et la « Transition démocratique » ne vont pas immédiatement redorer le blason du cinéma espagnol et le naufrage va même se confirmer avec le « cine de destape » (cinéma dénudé), des comédies érotiques extrêmement médiocres qui, en 1976, occupent cinquante pour cent des affiches. Paradoxalement, malgré cette invasion des écrans par la pornographie soft, la société postfranquiste reste majoritairement conformiste et normative car le carcan moral imposé pendant trente-six ans est encore difficile à démanteler. C’est alors que se développe, face à cette subculture populaire hyper commerciale, faussement émancipée et normative, la Movida madrilène (« la Movida madrileña »), mouvement contre-culturel underground et subversif, apparu à Madrid puis dans plusieurs villes d’Espagne, peu après la mort de Franco, pendant les premières années de la « Transition démocratique » et jusqu’au milieu des années 1980.
Avec vingt-quatre films tournés de 1978 à 2021 et de nombreuses récompenses, Pedro Almodóvar est devenu un réalisateur incontournable et probablement le plus célèbre des cinéastes espagnols après Luis Buñuel. Il représente aussi tout un pan de l’histoire de l’Espagne puisqu’il avait vingt-six ans à la mort de Franco et qu’il est devenu l’une des figures les plus emblématiques de la Movida. Comme Genet, Burroughs, Heliczer ou José Agrippino De Paula dans leurs sociétés respectives, Almodóvar a donc construit sa carrière d’artiste en rupture avec la société franquiste et ses normes : provocateur et extrêmement avant-gardiste, mais sachant aussi rendre hommage à ses aînés. Après avoir retracé les grandes étapes de la représentation du genre (masculinité, homosexualité et transsexualité) dans le cinéma franquiste (1939-1975) et postfranquiste, notre contribution (Lionel Souquet) intitulée « La Loi du désir : du cinéma franquiste hétéronormatif à l’univers « anomal » de Pedro Almodóvar » tente de montrer que, chez Almodóvar, la dysphorie de genre n’a rien d’anecdotique : elle est militante et même, plus largement, politique, rejoignant ainsi certaines thématiques de l’univers de Genet. Elle est aussi constitutive de l’œuvre, non seulement d’un point de vue thématique mais aussi formel, tant dans le choix d’une esthétique kitsch ou camp que dans l’élaboration d’un « gay gaze » et d’une poétique de la transparence. Nous nous intéresserons tout particulièrement à La ley del deseo / La Loi du désir (1987) qui, trente-cinq ans après sa sortie, reste un film culte et une œuvre extrêmement subversive et même « décapante ».
L’étude du cinéma franquiste montre donc que, durant le siècle dernier, la norme traditionnelle de représentation du genre fut principalement binaire et hétéronormative, notamment en Espagne. En littérature, dans l’œuvre de l’Espagnol Arturo Pérez-Reverte, la norme et le genre font également sens, comme le montre Andrés Cobo de Guzmán Medina dans son article « Normes de genre dans La línea de fuego (Espagne, 2020) d’Arturo Pérez Reverte ». En effet, dans Línea de fuego, l’un des derniers romans (non traduit en français) de l’académicien et écrivain espagnol, publié en 2020, nous retrouvons la représentation de la normalité et de l’anormalité traditionnelle du genre propre non seulement au contexte historique des années 1930 mais aussi à la génération de l’auteur (né en 1951). Cependant, ce roman offre également la représentation de l’anomal, de l’exception, de l’irrégulier, de l’inédit. En effet, l’inclusion d’un groupe de femmes dans la bataille de l’Èbre (1938), pendant la guerre civile espagnole, constitue une anomalie historique : une catégorie productive intentionnelle qui déplace les repères, interroge, perturbe le sens de l’Histoire et brouille les représentations du genre.
Andrés Cobo de Guzmán Medina montre que c’est la raison pour laquelle Pérez-Reverte se laisse emporter par un flot lexical trivial, voire argotique, circonscrivant dans son roman le caractère descriptif de l’anomal, sans se référer forcément à une valeur au regard d’un type de règle, dans le contexte actuel où la notion de genre est fortement interrogée et remise en question, notamment par les mouvements féministes et LGBT+ et le wokisme, mais aussi par leurs détracteurs. La finalité de Pérez-Reverte, qui, en ce sens, apparaît peut-être comme une sorte d’anti Almodóvar, n’étant peut-être pas de déconstruire un modèle existant, mais de survivre face à une certaine réécriture qu’impose le regard de la postmodernité.
Avec Marie-Cécile Schang-Norbelly nous quittons maintenant la postmodernité pour le siècle des Lumières. Son article « D’une norme à l’autre : Regards croisés sur l’opéra-comique des Lumières » pourrait se résumer dans l’une de ses phrases :
[Cette histoire de la comédie mêlée d’ariettes] matérialise l’effraction de normes nouvelles au sein d’un univers régi par des normes anciennes. En ce sens [c’est...] la présentation d’une norme en devenir.
La comédie mêlée d’ariettes, forme d’opéra-comique qui voit le jour dans les années 1750, est un genre hybride, qui repose sur une alternance de dialogues parlés et d’airs chantés, dont découle un mélange des registres, les ariettes favorisant l’introduction du registre pathétique au sein de la comédie. Cette absence d’unité dans les procédés, sorte de collage ou de cut-up avant la lettre, induit une progression dramatique discontinue, qui repose sur la juxtaposition de situations et de tableaux, visant à saisir le spectateur. Le genre est décrié par les tenants de la doctrine classique, qui considèrent le mélange comme une imperfection et l’image comme un piège tendu aux sens du spectateur. Or, la naissance de ce genre s’inscrit dans un mouvement de réforme du théâtre qui repose, dans la deuxième moitié du xviiie siècle, sur l’idée que le mélange est l’image de la nature (malgré les risques d’anachronismes, il serait d’ailleurs amusant de rapprocher cette conception de la nature de celle qui sera mise en avant par les naturistes des années 1920 et 1930). Une telle conception, qui s’affranchit des codes de la représentation classique, invite à évaluer les œuvres à l’aune d’une norme nouvelle fondée sur le jugement du spectateur. Ce changement de point de vue reflète l’importance grandissante accordée à la sensibilité et à son expression au siècle des Lumières : c’est dans l’émotion du spectateur qu’il convient désormais de penser la normalité de la comédie mêlée d’ariettes.
Il y a une double mise à l’épreuve dans l’article de Marie-Cécile Schang-Norbelly : d’une part, celle de l’opéra-comique confronté aux normes classiques et de l’autre celle de ces normes elles-mêmes contestées et dévalorisées par l’esprit nouveau. Le « point de vue » adopté est principalement d’esthétique : l’article montre l'ambiguïté du critère classique de « nature », et d’une manière très intéressante explique que, par une sorte de dialectique interne, cette norme va se retourner contre elle-même. L’absence d’unité de ces œuvres induit une progression dramatique discontinue, organisée selon une juxtaposition de tableaux dont l’enchaînement semble parfois gratuit du point de vue des règles classiques. Toutefois cette discontinuité formelle, structurelle, poétique, est le moteur d’une continuité et d’une cohérence qui ne se déploient pas dans la linéarité du texte, mais dans un champ qui suscite la méfiance voire la réprobation des théoriciens classiques : celui de l’image. L’accusation de monstruosité prononcée à l’encontre de la comédie mêlée d’ariettes serait donc la conséquence d’un effet d’optique provoqué par l’utilisation d’une grille de lecture inadaptée, par la référence à une norme obsolète quoique présentée comme ancestrale et immuable par les théoriciens classiques. Le monstre dramaturgique qu’est la comédie mêlée d’ariettes n’est pas seulement l’expression poétique d’un changement, d’un processus de transformation de la société.
Peut-être pourrait-on lier cette analyse à une problématique plus générale concernant le devenir des normes, et du même coup l’insérer dans une lignée discontinue des modes de résistance aux « raisons dominantes » ? N’y retrouve-t-on pas des concepts voisins développés (et pas nécessairement à propos du théâtre) par des auteurs contemporains ? Les multiplicités, les hétérogenèses et « l’habit d’Arlequin » de Deleuze et Guattari ? Les « tactiques » intersticielles du pauvre (non pas « contre » mais « entre » les institutions) de Certeau ? « L’âme tigrée » (bigarrée) de l’anthropologue Gilbert Durand ? Et, passant aux pratiques, y a-t-il un lien entre l’hybridité de l’opéra-comique et les « mixtes » contemporains du théâtre avec la musique, la vidéo, le cinéma ? Ce riche exposé prend tout son relief de se situer dans la très ancienne tradition de la lutte du pluriel contre l’Un et de l’hétérogène contre le monisme ontologique. Bref, d’accorder à ce texte une place dans la famille (elle-même composite !) de ceux qui prennent pour objet l’étude des « mouvements aberrants » (David Lapoujade, Minuit, 2014).
Le magnifique article de Raphaël Rigal, « Rétablir l’écart : l’anormal et l’anomal dans la peinture rossettienne et préraphaélite » pourrait être lu comme un prolongement de celui de Marie-Cécile Schang-Norbelly. S’étant constituée en révolte contre la Royal Academy, ses idéaux, et ses dogmes picturaux, la Confrérie Préraphaélite annonce dès sa création, en 1848, un rejet des normes artistiques victoriennes. Par leur train de vie mouvementé autant que par leur art sensuel, voire obscène, les peintres et poètes préraphaélites et leurs proches continuent cette orientation initiale tout au long du siècle. Il y a cependant plus dans le Préraphaélitisme que le mauvais goût et la mollesse déviante qu’y voient certains de leurs contemporains (Dickens, Buchanan) :
Les portraits sensuels de Rossetti sont comparés dans l’esprit de John Bull à ceux, beaucoup plus classiques, de Reynolds, Gainsborough, et plus généralement des “honnêtes artistes anglais”, formateurs supposés du goût de l’honnête homme. […] Derrière cet écart entre ce qui est beau dans le musée et ce qui est beau dans la rue se cache cependant une autre cause de critique : la question des convenances. […] Ce refus des convenances accompagne la déviation esthétique par rapport aux normes académiques : le but n’est pas uniquement de choquer en refusant ce qui est convenable, mais de représenter le vrai, au besoin en modifiant la façon dont ce vrai est perçu.
Raphaël Rigal montre que le rejet des normes, loin d’être un simple mouvement de rébellion de jeunesse, s’inscrit dans le cadre d’une praxis phénoménologique, une représentation de la vie qui vise à faire advenir une société centrée sur l’humain. L’a-normalité des Préraphaélites – refus du conformisme et de la norme académique et classique – se change en an-omalie, c’est-à-dire, d’après l’étymologie du mot (àν-ώµαλοç), en une représentation de l’écart, de l’irrégulier, et de l’aspérité qui caractérisent la vie. Anormal et anomal se retrouvent ainsi chargés d’une portée politique autant qu’esthétique, sociale autant que philosophique. Cette étude met en regard les portraits des Préraphaélites et des Académiciens, ainsi que des textes critiques et théoriques de l’époque, afin de montrer la volonté des Préraphaélites d’éviter la normalité lisse de ce qui est convenable et convenu au profit d’une représentation variée de la vie.
La thématique du kitsch se trouve, comme l’opéra-comique, à la croisée des chemins. L’ambition de notre deuxième contribution (Lionel Souquet) « Le kitsch : une esthétique hors-normes ?... Ou l’art comme anomalie » est de faire écho à plusieurs des articles qui composent cette réflexion interdisciplinaire sur les normes.
Renvoyant presque automatiquement à l’idée de « mauvais goût », le kitsch interroge fortement les canons esthétiques et, donc, les normes. Mais les choses se compliquent très vite car la notion de « mauvais goût » est forcément subjective et relative… Qu’est-ce que le « bon goût » ? Qu’est-ce que le « mauvais goût » ? Si l’on suppose que le « bon goût » se mesure en fonction de la conformité à un canon esthétique, on part du principe que le « bon goût » constitue la norme et, donc, que le « mauvais goût », le kitsch, serait tout ce qui s’oppose, consciemment ou non, à cette norme. Mais qui énonce la norme ? S’agit-il des académies ? Nous verrons pourtant que l’art académique, le plus normatif qui soit, va souvent être perçu, dès le xixe siècle, comme producteur de kitsch. Dans La distinction, Pierre Bourdieu affirme :
Les goûts (c’est-à-dire les préférences manifestées) sont l’affirmation pratique d’une différence inévitable. […] ils s’affirment de manière toute négative, par le refus opposé à d’autres goûts : en matière de goût, plus que partout, toute détermination est négation ; et les goûts sont sans doute avant tout des dégoûts […] parce que chaque goût se sent fondé en nature15.
Qu’est-ce que le kitsch ? Qu’est-ce qui est kitsch ? Dès que je qualifie quelque chose – un objet, une attitude, une œuvre – de « kitsch », je me positionne par rapport à une norme et j’énonce un jugement esthétique, voire un jugement de valeur. L’une des hypothèses les plus courantes pour expliquer l’émergence du kitsch serait la fusion entre la dimension utilitaire et la dimension esthétique. Au xixe siècle, la bourgeoisie capitaliste aurait voulu ajouter une dimension esthétique aux objets utilitaires, faisant ainsi descendre l’art du sublime au décoratif, du beau au joli et au banal, suscitant la production d’un « mauvais » art, utilitaire et factice, faussement beau. Cette théorie implique donc de penser exclusivement la beauté à partir de la subjectivité et pose la question du mérite de l’œuvre d’art « authentique », par opposition au kitsch, art « factice » et dégradé, faussement beau, qui ne jouirait pas de tels mérites.
Dans le champ artistique, le kitsch est généralement lié à la présence de clichés, les sujets traités et la façon de les représenter étant stéréotypés. Le kitsch, en ce sens, semble suivre la norme – ou, du moins, le goût dominant – et contribue probablement à la produire. Mais nous verrons que ce n’est pas toujours vrai. Pour Clement Greenberg, le kitsch est le contraire de l’avant-garde. Tandis que les classes dominantes sont prêtes à investir des sommes considérables pour posséder les œuvres des grands maîtres de la peinture ou de la sculpture académiques, les milieux modestes se contenteront de chromos, de copies en plâtre ou en plastique ou autres reproductions produites en série et bon marché. Naïveté, manichéisme, sentimentalisme et matérialisme seraient les principaux marqueurs du kitsch.
La question se pose donc de savoir si le kitsch appartient au domaine de l’art ou, même, de la beauté. Avec sa tendance à l’excès et à l’exagération, il ne correspond pas aux exigences platoniciennes de la « kalokagathia » (« καλοκἀγαθία »). Marie-Christine Agosto nous rappelle pourtant que :
Jusqu’à l’âge classique la beauté fut normée et soumise à des règles et à des critères didactiques d’édification moralisatrice. Au xixe siècle [...] le Beau pouvait encore s’inscrire dans l’esprit de la philosophie hégélienne qui faisait de la beauté le reflet de la vérité. [...] Puis la référence au concept de beauté est tombée en désuétude [...] De fragmentation postmoderniste en dissémination déconstructionniste, plus personne de nos jours n’ose nommer la beauté16.
Finalement, nous pouvons mettre en évidence deux courants dans l’histoire très complexe du kitsch que nous pourrions schématiser comme suit : premièrement, un kitsch moderne (typique de l’ère industrielle) et conservateur, lié aux classes dirigeantes et aux régimes politiques les plus autoritaires (c’est l’objet de cette étude) ; deuxièmement, un kitsch postmoderne et subversif que Susan Sontag nomme « camp » et qu’elle lie aux problématiques du genre. On pensera forcément aux travestis et transgenres de Genet et d’Almodóvar, à leurs parures, à leurs maquillages et autres excès cosmétiques.
Rappelons enfin qu’en grec le mot « Kosmos » signifie à la fois le monde, ou plutôt l’ordre du monde, et l’ornementation, l’ornementation corporelle. Le philosophe et historien de l’art Bertrand Prévost souligne que les Grecs anciens considéraient l’ornementation comme un ajout qui n’était pas superflu mais harmonieusement complémentaire : « du cosmique à la cosmétique, c’est un même ordre qui s’étend à toutes les échelles17. » C’est le christianisme qui a condamné la parure et les cosmétiques, par opposition à la nudité d’Adam et du Christ. Prévost rappelle que Tertullien (c. 160-c. 220), père de l’Église, avait un discours très misogyne dans lequel il présentait la coquetterie comme une attitude « impure », typiquement féminine et révélatrice d’orgueil et de luxure. À la suite de Deleuze et Guattari, Prévost affirme que la fonction de l’ornementation est de réduire le corps, de le concentrer en quelques lignes, autrement dit de l’abstraire. L’exubérance des parures les plus saillantes, l’extravagance des tenues les plus colorées, tout cela est paradoxalement le corrélat d’un « devenir imperceptible » dans lequel on se fond dans le monde, dans lequel on fait monde : « L’imperceptible est la fin immanente du devenir, sa formule cosmique18. »
Normal, anormal, anomal : ces trois adjectifs nous orientent donc vers des notions voisines telles que le monstrueux, l’extraordinaire, le « bon » / « mauvais » goût (le kitsch), la majorité/minorité, le point de vue dominant/dominé, la question du genre (hétéronormativité, homosexualité, transsexualité, transidentité)… De Socrate à Divine il n’y a qu’un pas, celui de la transgression des normes.
Bio-bibliographies des auteurs
Enseignant titulaire de l’université Grenoble Alpes. Professeur aux ministères des Finances, Affaires étrangères, Grandes écoles. Docteur en lettres et sciences sociales depuis 2016. Domaines de recherche : changement social, cinéma, Espagne et l’Amérique latine, études européennes. Expertise : jury de thèse, concours administratifs et CPGE, évaluation des projets IDEX, revues à comité de lecture. Publications récentes : “La psicopolítica del poder y sus contradicciones en la ʻTrilogía Falcóʼ”, in J. S. Zapatero, A. M. Escribá, Reescrituras del género negro, Université de Salamanque, Dykinson, 2022 ; “La hibridación cultural de Fernando Vallejo: del exilio intelectual al fenómeno del hijo pródigo foráneo en Colombia”, Revista Hispanística XX, 2021 ; “El personaje marginal en el cine de Isabel Coixet: Elisa y Marcela (2019) y La Librería (2017)”, université d’Artois, Arras, 2021 ; “El discurso al margen de Fernando Vallejo y su rebeldía ante el pensamiento positivo”, Colombianistas, 2021 ; “Cine e imaginario histórico iberoamericano: Oro, de Díaz Yanes (2017)”, in M. M. Ramos (coord..), Mucho más que cine: historia, literatura y arte en el cine en español y en portugués, Université de Salamanque, Centro de Estudios Brasileños, 2021, p. 73-87.
Finistérien, né d’une famille populaire, mi-bretonne, mi portugaise, Jean-Manuel de Queiroz est agrégé de philosophie, docteur en sociologie et professeur émérite de l’université Rennes 2 (où il a également exercé les fonctions de vice-président aux affaires culturelles). Il fut l’un des premiers à s’interroger sur les rapports entre l’école et les familles ouvrières autrement que dans les séries statistiques mesurant les inégalités socio-scolaires, mais à travers des entretiens recueillant le point de vue des intéressés. Sa thèse réalisée sur ce sujet, en 1981, fait référence parmi les sociologues de l’éducation. Jean-Manuel de Queiroz a publié un ouvrage de synthèse des recherches en sociologie de l’éducation : L’école et ses sociologies, 2e édition, « collection 128 », Armand Colin, 2011, ainsi que la première synthèse de langue française sur un courant sociologique spécifiquement américain : L’interactionnime symbolique, Rennes, PUR, 1992 (en collaboration avec Marek Ziokovski), courant étroitement associé à un travail critique très novateur sur les processus normatifs. À titre d’exemple de sa production d’articles, on en signalera un, directement lié à la thématique de ce numéro : « Foucault: The Imaginary Sex », Journal of Homosexuality, vol. 25, n° 1-2, 1993, p. 41-61, DOI : 10.1300/J082v25n01_04.
Stanislas Derrien, doctorant en deuxième année d’études anglophones (11e section), travaille sous la codirection des professeurs Thierry Robin et Isabelle Le Corff. Il est actuellement rattaché à l’université de Bretagne occidentale et à l’université d’Orléans, au sein des unités de recherche HCTI et RÉMÉLICE, et chargé de cours en tant que professeur agrégé stagiaire à l’UBO. Son projet de recherche, « Lost in a Good Book : Forme et idéologie dans la métafiction de Jasper Fforde (2001-2020) » convoque des notions telles que la métatextualité, l’intermédialité et les théories de la réception. Il s’interroge également sur les représentations de l’identité et du patrimoine britanniques dans la littérature anglophone postmoderne et contemporaine. En 2021, il a proposé deux communications intitulées « Le pays de Galles aux frontières du réel : un territoire protéiforme dans les romans de Jasper Fforde » et « Forme et idéologie dans les métafictions ludiques de Jasper Fforde ».
Professeur agrégé de lettres modernes, Romain Frezzato est docteur de l’université Paris 8 – Vincennes-Saint-Denis, en littérature comparée et études de genre. Il est membre de l’UMR 8238, Laboratoire d’études de genre et de sexualité (LEGS). Il a soutenu, le 16 décembre 2021, une thèse intitulée Pratiques transgenres dans le roman moderne : travesti et travestissement dans Notre-Dame-des-Fleurs de Jean Genet, Ce Lieu sans limites de José Donoso, Je Tremble ô matador de Pedro Lemebel et Last Exit to Brooklyn de Hubert Selby Jr, sous la direction d’Anne Emmanuelle Berger et au sein de l’école doctorale « Pratiques et théories du sens ». Sa dernière publication en date s’intitule : « La négation du genre. Le corps au prisme du cinématographe dans Notre-Dame-des-Fleurs de Jean Genet », colloque international du LARIDIAME, Le discours et l’imaginaire du corps dans la littérature et les arts : approches intermédiales, Sfax, Tunisie, avril 2021.
Raphaël Haudidier est docteur de l’université de Bretagne occidentale et membre du laboratoire HCTI. Il est l’auteur d’une thèse de littérature américaine intitulée Évolutions et dynamiques du cut-up : des textes fictionnels de William S. Burroughs aux réseaux littéraires et artistiques (1959-1981), dirigée par madame le professeur Marie-Christine Agosto et soutenue le 25 novembre 2021. Son travail de recherche porte sur les évolutions et les dynamiques du cut-up, une technique d’écriture découverte par l’écrivain américain William S. Burroughs en 1959. Il a publié un article consacré à cette technique dans la revue Otrante, en 2019, et a récemment communiqué à Paris dans le cadre d’un colloque consacré à Claude Pélieu. Raphaël Haudidier est également contractuel d’anglais à l’université de Bretagne Occidentale, et claviériste du Moby’s Dick Funk Mob.
David Jousset, maître de conférences habilité de philosophie à l’université de Bretagne occidentale (UBO) et membre du laboratoire HCTI, est un ancien élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (Paris) où il a découvert l’aventure des recherches interdisciplinaires. Avec des médecins et psychologues, il s’est engagé en éthique du soin sur un modèle relationnel pour concevoir l’autonomie et la vulnérabilité humaine (Penser l’Humain vulnérable. De la philosophie au soin, D. Jousset, Jean-Michel Boles et Jean Jouquan (dir.), Rennes, PUR, 2017), la co-responsabilité dans la décision démocratique (D. Jousset, J. M. Boles (dir.), La co-décision dans le soin, de la relation inter-personnelle à la réflexion collégiale : une dimension démocratique du soin ?, collection « Carnets de l’Espace de réflexion éthique de Bretagne », Sauramps Medical, 2018). Actuellement, ses recherches portent en éthique politique et philosophie sociale sur la pensée de l’être social à partir des expériences de l’exclusion (D. Jousset, Bruno Tardieu, Jean Tonglet, « Les pauvres sont nos maîtres » ! Apprendre de ceux qui résistent à la misère, le paradoxe Wresinski, Paris, Hermann, 2019).
Benoît Quinquis, né à Brest en 1988, est docteur en philosophie de l’université de Bretagne occidentale où il enseigne l’histoire de la bande dessinée francophone. Il est membre du laboratoire HCTI. Auteur d’une thèse sur l’immortalité de l’âme chez Platon, il poursuit aussi des recherches sur Albert Camus et l’image satirique au sein du laboratoire HCTI dont il est membre associé. Il est également correspondant local de presse et mène une carrière artistique sous le pseudonyme de Blequin. Monographie : L’Antiquité chez Albert Camus, Paris, L’Harmattan, 2014. Articles : « L’utopie avant l’heure : La République de Platon », vol. 10, n° 3, M@gm@, 2012 ; « Albert Camus et l’Antiquité romaine : une relation ambiguë », Chroniques camusiennes, 2016 ; « La Vache qui rit vue par Raymond Calbuth ou le sacre d’une icône populaire », actes du colloque Image & Commerce de la fin du xixe siècle à nos jours, CRBC/UBO-EESAB, 2017 ; « Charlie Hebdo ou l’envers du bonheur des années Pompidou », in M. Flonneau, C. Manigand, E. Robin-Hivert (dir.), Georges Pompidou et une certaine idée de la France heureuse, Berne, Peter Lang, 2018 ; « Albert Camus en Amérique du Nord : les failles d’un monde démesuré ? », in M.-C. Michaud, E. Elmaleh, S. Oueslati (dir.), Des faces cachées dans les Amériques, Éric Jamet éditeur, 2019 ; « Reiser inventeur et écologiste : entre humour et recherche scientifique appliquée », Ridiculosa, EIRIS, 2019 ; « Reiser et les migrants : une défense sans pathos », Ridiculosa, n° 26, 2020 ; « Dix signes infaillibles pour ne pas reconnaître un aspi », Le(s) monde(s) de l’autimsme, dirigé et édité par Guillaume Alemany, 2020 ; « Tintin au Congo, une “caricature” doublement désancrée », communication lors de la journée d’études « Ancrage et désancrage contextuel dans la caricature », 2017, Brest, site web de l’EIRIS, 2021 ; « Quand Objectif Nul s’inspirait de l’Odyssée », Motifs, n° 4, 2021, DOI : 10.56078/motifs.576.
Anthony Remy est agrégé d’anglais et intervient actuellement en tant qu’ATER à l’université de Bretagne occidentale, où il effectue sa thèse intitulée Écrire-désécrire : les paradoxes de la fin dans la métafiction contemporaine de langue anglaise (M. Z. Danielewski, A. Gray, L. Olsen, W. Self), sous la codirection de mesdames les professeures Camille Manfredi et Marie-Christine Agosto. Il est membre du laboratoire HCTI.
Agrégé d’anglais (2014) et diplômé de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (2015), Raphaël Rigal a soutenu en décembre 2020 une thèse intitulée Combler la Faille. Dante Gabriel Rossetti, les Préraphaélites, et la modernité, sous la direction du professeur Pascal Aquien. Actuellement professeur agrégé à l’université Gustave Eiffel de Champs-sur-Marne, il a publié des articles sur les échos linguistiques de l’identité multiculturelle de Dante Gabriel Rossetti, et sur l’incarnation de la vie en art dans la poésie préraphaélite.
María Fátima Rodríguez est une écrivaine galicienne, traductrice en galicien et espagnol, et professeure des universités à l’UBO (depuis 2008). Elle est membre du laboratoire HCTI. Après avoir suivi des études de langues romanes à l’université de Saint-Jacques-de-Compostelle, elle fait son doctorat de littérature comparée en France et s’installe à Toulouse, entre 1983 et 2008. Entre 1991 et 1993, elle prépare un master en traductologie à l’Université autonome de Barcelone. Des voyages en Roumanie et Italie complètent sa formation de romaniste et approfondissent ses connaissances des littératures contemporaines. À Toulouse, elle collabore avec la « Casa de Galicia » de la région pour soutenir la diffusion de la culture galicienne. En tant que romaniste, elle travaille aussi sur les écrivains et écrivaines des Caraïbes. Elle publie régulièrement des articles sur les langues, les littératures (roman, poésie, essai) et l’image dans le monde hispanophone et latino-américain. Elle étudie et divulgue des travaux inédits ou peu diffusés des penseurs latino-américains du xxe siècle et travaille sur les liens conceptuels Europe-Amérique latine : féminisme et pacifisme dans les années 1930. Son HDR Mutations, passages, trouées : l’espace transitaire du récit latino-américain, dirigée par la professeure Mónica Zapata (université de Tours, 2011), portait notamment sur l’œuvre inédite de la dominicaine naturalisée cubaine Camila Henríquez Ureña. Fátima Rodríguez a publié de nombreux articles et ouvrages scientifiques ainsi que plusieurs recueils de poésie.
Licencié en sociologie (FaHCE / Université nationale de La Plata), titulaire d’un master en sciences politiques et en sociologie (FLACSO Buenos Aires) et d’un doctorat en sciences sociales (FaHCE/UNLP). Professeur adjoint d’epistémologie et méthodologie des sciences sociales (FaHCE-UNLP). Chargé de cours du séminaire Introduction à la connaissance scientifique dans la spécialisation en politiques sociales (FTSUNLP). Chercheur à l’Institut de recherche en sciences humaines et sociales (IdIHCS / UNLP-CONICET) et membre du projet de recherche accrédité « Trajectoires professionnelles, générations et classes sociales : une analyse des inégalités sociales dans le Grand La Plata (2003-2019) ». Enseignant et coordinateur de la Chaire libre de Soberanía Alimentaria à l’UNLP. Thèmes de recherche : souveraineté et sécurité alimentaires, sociologie de l’alimentation et politiques sociales alimentaires.
Marie-Cécile Schang-Norbelly est maîtresse de conférences en littérature française du xviiie siècle à l’université de Bretagne-Sud (HCTI). Elle a consacré sa thèse à une étude dramaturgique de la comédie mêlée d’ariettes. Ses recherches portent en particulier sur le théâtre du xviiie siècle, sur les rapports qu’entretient le théâtre avec la musique, le roman et la peinture, sur le lyrisme, et sur la réception de la sensibilité d’Ancien Régime aux xixe et xxe siècles.
Lionel Souquet est professeur à l’université de Bretagne occidentale (Brest). Sa spécialité est la littérature hispano-américaine du milieu des années 1960 à nos jours. Il est l’auteur d’une thèse de doctorat sur le kitsch dans l’œuvre de l’écrivain argentin Manuel Puig (dirigée par Albert Bensoussan, université Rennes 2 – Haute Bretagne, 1996) et d’une HDR intitulée La « Folle » révolution autofictionnelle (dirigée par Milagros Ezquerro, Sorbonne-Paris IV, 2009), sur les écrivains Reinaldo Arenas (Cuba), Copi (Argentine), Pedro Lemebel (Chili), Manuel Puig (Argentine) et Fernando Vallejo (Colombie). Il travaille notamment sur le « kitsch » (depuis le début des années 1990), le genre (homosexualité et transsexualité), l’autofiction, le théâtre, le cinéma et l’intermédialité. Créateur et responsable du sous-axe « Kitsch » du laboratoire HCTI (depuis 2010), il a été responsable de l’axe 2 « Normes » d’HCTI (juin 2016-2022) et c’est dans ce cadre qu’il a organisé la journée d’études « Normal, anormal, anomal », qui s’est tenue le 16 octobre 2020 à l’UBO. Il est aujourd’hui responsable de l’axe 3 « Constructions et réception de l’écart » d’HCTI (2022-2026). Depuis 1999, il a publié une cinquantaine d’articles.
Sylvain Villaret est maître de conférences en STAPS au sein de Le Mans Université et rattaché au laboratoire TEMOS, UMR CNRS 9016. Ses thématiques de recherche ont trait aux nudités militantes, à l’histoire de l’éducation physique et des sports appréhendée, notamment, au travers du genre et des politiques sportives municipales.
Ouvrages parus : S. Villaret, P. Tétart (dir.), Des Édiles au Stade. Aux origines des politiques sportives municipales (vers 1850 - 1914), Rennes, PUR, 2020 ; P. Tétart, S. Villaret, (dir.), Les Voix du sport. La presse sportive régionale à la Belle Époque, Biarritz, Atlantica & Musée national du Sport, 2 tomes, 2010 ; S. Villaret, Naturisme et éducation corporelle : des projets réformistes aux prises en compte politiques et éducatives (xixe - milieu xxe siècles), Paris, L’Harmattan, 2006 ; S. Villaret, Histoire du naturisme en France depuis le siècle des Lumières, Paris, Vuibert, 2005.